Parution : 18/04/2013
ISBN : 9782360540853
192 pages (148 x 210)

20.00 €

Leonard Cohen

Un canadien errant

EXTRAIT

Il y a aussi ce jeu de guitare unique, au service de chansons imprévisibles. Pour quelqu’un qui n’aurait appris que trois accords classiques d’une manière qui déroute tant les membres de Kaleidoscope que sa compatriote Buffy Sainte Marie. Tous s’avouent intrigués et désemparés face à cette manière de jouer, tout en rondeur, et cette manière de construire des chansons, en faisant fi des formats habituels de couplet/refrain. Et entre sa guitare et ses paroles se tient cette voix qu’il n’aime pas, appuyée sur des chœurs féminins qui deviendront sa marque de fabrique.

Leonard Cohen arrive à New York au début de l’automne 1966. Il a derrière lui une carrière de poète sans le sou, devant lui une carrière de chanteur country à Nashville. Dans cet avenir tout tracé, New York n’est qu’une étape. Mais c’est pourtant bien dans cette capitale du renouveau folk que Leonard va concrétiser son ambition, et en l’espace d’une quinzaine de mois, devenir chanteur professionnel, enregistrer et voir publier son premier album, Songs of Leonard Cohen. L’album s’ouvre sur “Suzanne”, la chanson qui, en attirant l’oreille de Judy Collins, puis de John Hammond, a réellement ouvert la carrière de chanteur de Leonard. Hymne à Montréal, évoquant une danseuse mariée à un sculpteur, ami de Leonard, “Suzanne” est un concentré de ce qui attirait alors, et attire encore, chez Leonard Cohen. Leonard Cohen, tour à tour poète et romancier, séducteur, dépressif, musicien, moine bouddhiste, a déjà fait l’objet de bon nombre d’essais qui ont tenté d’approcher le personnage romanesque qu’il s’est fabriqué. Au-delà de ces apparences, Leonard Cohen reste avant tout un auteur-compositeur-interprète qu’il convient de saisir à travers le prisme de ses albums, qui lui ont apporté respect et reconnaissance auprès de générations d’artistes et admirateurs anonymes.

Revue de presse

- Leonard Cohen. Un canadien errant Marco Shut Up And Play the Books Novembre 2013
- Entretien avec Viviane Gravey Didier Bazy La Cause littéraire 30 avril 2013

- Leonard Cohen. Un canadien errant

Le livre :

Leonard Cohen, un canadien errant est un livre divisé en deux parties. Viviane Gravey dépeint dans un premier temps Leonard Cohen à travers des chapitres thématiques (sa relation avec les femmes, la religion, l’industrie musicale…), puis l’auteure explore la discographie du chanteur. Viviane Gravey analyse, extraits de textes à l’appui, tous les albums du chanteur-poète de la production en studio à la réception par le public.

Ce livre nous rappelle qu’avant de devenir un chanteur reconnu, Leonard Cohen est un écrivain et un poète. Si sa poésie et ses romans (The Favourite Game et Beautiful Losers) ne lui ont pas permis de gagner sa vie, ils ont fortement influencé sa musique. Son recueil de poésie Parasites of Heaven contient quatre poèmes qui deviendront des chansons, Suzanne Takes You Down, Teachers, I Believe You Heard Your Master Sing et I Fell Into an Avalanche.

Viviane Gravey révèle un Leonard Cohen plus complexe que le cliché du chanteur déprimé (et pour certains déprimant) qui lui colle à la peau. Si le chanteur n’a jamais caché sa dépression chronique, source d’inspiration évidente, ne pas relever certains de ses morceaux plus optimistes ou ironiques est réducteur.
Un canadien errant, fait référence à un titre chanté par l’artiste et à ses nombreux déplacements. Mais Leonard n’a pas tout le temps eu la bougeotte, l’auteure rappelle également que, devenu bouddhiste au milieu des années 1990 sous le nom de Jikan le silencieux, il s’est isolé dans un monastère pendant cinq ans.

Autre paradoxe, alors que de nombreux artistes usent (parfois abusent) des reprises pour asseoir leur notoriété, Leonard Cohen a bénéficié de l’admiration de ses contemporains pour son œuvre. On ne compte plus le nombre de reprises des ses morceaux qui ont permis de faire découvrir Leonard Cohen à un public plus large. Judy Collins et Joan Baez reprenaient ses morceaux dans les années 1960, et je ne pense pas être le seul à avoir découvert le titre “Hallelujah” à travers la reprise de Jeff Buckley.
Les deux compilations de reprises I’m your fan (1991) et Tower of song (1995) sont deux preuves de l’engouement pour l’œuvre de l’artiste.

Le livre revient sur le rapport de Leonard Cohen à la religion (les titres “Who By Fire” et “If It Will Be Your Will” sont tirés de prières juives) et le mélange qu’il effectue dans ses textes entre la thématique religieuse (référence universelle) et le sexe. Les relations sentimentales du chanteur, source de créativité comme le prouve le nombre de ses compositions ayant un prénom féminin dans leur titre, sont aussi évidemment évoquées.

Viviane Gravey revient également sur les relations entre le chanteur et son public en tournée. Un rapport qui a pu être difficile (le poète a mis du temps à assumer sa présence en tant que chanteur sur scène) et même tendu lorsque Cohen, provocateur, évoquait le nazisme devant son public allemand. Un public que Leonard Cohen a retrouvé en 2008 alors qu’à 73 ans il est poussé à reprendre la route à cause d’une ancienne collaboratrice l’ayant ruiné.

Avis :

Ce livre devrait contenter les fans de Leonard Cohen mais également ceux désirant découvrir l’univers musical du canadien. La discographie de l’artiste est présentée de façon honnête, Viviane Gravey n’hésite pas à pointer du doigt, parmi les chefs d’œuvre les albums moins brillants, les périodes de créativité plus creuses ou déconcertantes. Heureusement ce n’est pas le cas en ce moment, Leonard Cohen est très en forme, j’ai pu le constater lors de son concert à Bercy le 18 juin dernier.
Je ne peux que conseiller la lecture de ce livre, accompagné bien entendu de sa playlist…

Marco
Shut Up And Play the Books Novembre 2013

- Entretien avec Viviane Gravey

Propos de Viviane Gravey recueillis par Didier Bazy

Votre livre commence ainsi :
« Léonard Cohen rentre difficilement dans les cases. Depuis ses débuts, il fut tour à tour trop bourgeois pour les beats, trop vieux pour les hippies, trop militariste pour le mouvement folk et trop introverti pour l’Amérique. La musique du Canadien a cette qualité rare de sonner souvent hors du temps… ».

… Hors du temps, loin des classifications… Sous quel angle, ou quels angles, l’avez-vous donc « abordé » ? Vous signalez avoir baigné et grandi dans sa musique et sa poésie. Serait-ce un « morceau de vous » que vous livrez ici ? L’exercice n’a pas dû être aisé : il est souvent délicat de livrer une partie de soi-même…

Viviane Gravey : L’angle du livre est décidément musical – pour un artiste protéiforme comme Leonard Cohen cela signifie sinon taire, au moins mettre au deuxième plan toute son œuvre poétique, analysée ici seulement en ce qu’elle impacte ses chansons. Tous les livres de cette collection sont construits avec une première partie biographique et une deuxième partie proposant une revue critique de chacun des albums de l’artiste. Le cadre était donc posé dès le départ – mais je l’ai fait mien, en choisissant en particulier de ne pas suivre un motif chronologique dans la première partie, mais plutôt une approche thématique – la dualité poète/écrivain, sa relation aux femmes, sa dépression, sa peur des tournées etc. Ce choix s’est imposé tout naturellement, car d’une part il y a de nombreuses biographies factuelles de Leonard (et de nombreux excellents sites internet sur lesquels trouver les moments clefs de sa vie) et d’autre part j’avais déjà écrit une courte biographie chronologique du chanteur (une « story ») sur le webzine Inside Rock en 2008, et ce format me paraissait trop limité.
Tout travail rendu public – une présentation, un article, un billet de blog – implique de livrer un morceau de soi, d’oser exposer aux yeux des autres non seulement ses idées mais sa manière de les agencer et de les défendre. Par rapport à ces autres formats, un livre c’est terrifiant : non seulement c’est long (en nombre de pages et de mois de travail), mais le degré d’exigence est bien supérieur, et le fond ne doit pas être exposé au dépend de la forme. Aussi quand mon éditeur m’a contactée pour me proposer d’écrire ce livre j’ai hésité – mais le sujet me tenait particulièrement à cœur, et mes papiers sur Leonard pour Inside Rock m’avaient familiarisée avec ce qui avait déjà été écrit sur le Canadien, et sur ce qu’il restait à écrire.
Ecrire une biographie suppose ou implique une part d’identification. Quelle est cette part ?

Viviane Gravey : Il existe de nombreuses biographies du chanteur. Dès le départ, je me suis mise dans une posture d’exégète, utilisant ces biographies comme des sources dans lesquelles piocher, pour développer les thèmes choisis. Il est intéressant de noter que de l’une à l’autre le ton est très différent : Ira Nadel est particulièrement clément envers Leonard, Anthony Reynolds cherche un peu trop à nous montrer son côté sombre, tandis que Sylvie Simmons tient ce que je pense être un juste milieu. Cette utilisation des biographies existantes fait que je n’ai pas l’impression de m’être vraiment identifiée à Leonard Cohen – même s’il a occupé une partie un peu trop importante de mes soirées et week-ends cette année passée !

Avez-vous tenté d’entrer en contact avec Leonard Cohen lui-même ? Si oui, pourquoi ? Si non, comment ?

Viviane Gravey : Depuis son retour sur scène en 2008, Leonard Cohen donne très peu d’interviews, semblant s’être lassé de l’exercice. Je savais donc que le rencontrer serait très difficile. En avançant dans mes recherches je me suis rendue compte qu’une rencontre n’apporterait pas grand-chose – s’il y a une chose sur laquelle s’accordent ses biographes c’est sur la manière dont Leonard Cohen oublie son passé, et le réinvente à sa manière. Enfin, il faut connaître ses propres limites : les interviews ne sont pas ma plus grande force !

Chaque chapitre présente un extrait heureux de chanson-poème, en anglais et en français. Pourquoi ce choix ? Vient-il de vous, de l’éditeur ? Souhaitez-vous suggérer au lecteur un certain type de lecture ? Lequel ?

Viviane Gravey : Il y a quelque chose de paradoxal dans le succès d’un chanteur à texte auprès de publics ne parlant pas sa langue. C’est une donnée importante dans la compréhension de l’œuvre de Cohen – soulignant notamment la force de ses mélodies. Mais c’est surtout quelque chose d’impossible à ignorer quand on écrit sur Leonard Cohen dans une autre langue que l’anglais : peut-on citer ses paroles et qu’elles soient comprises par tous ses lecteurs ? Nous avons donc décidé de traduire toutes les paroles citées. Nous rentrons tous dans la musique de manière différente, par un rythme, un riff, une voix, des mots etc. J’ai toujours été attachée aux paroles des chansons, et pour Leonard en particulier, il nous paraissait important de les mettre en avant, et à la suggestion de l’éditeur chaque chronique de disque s’ouvre sur un extrait de paroles d’une des chansons de l’album en question.

Quel est le meilleur livre sur Leonard Cohen, à part le vôtre (qui devrait faire date) que vous recommanderiez et dans lequel vous avez pu puiser, glaner des informations ?

Viviane Gravey : La récente biographie écrite par Sylvie Simmons est remarquable, fourmillant d’exemples, d’anecdotes jusqu’alors inconnues et elle est très bien référencée. C’est de plus un véritable plaisir à lire – la longue expérience de Simmons en tant que journaliste musicale a payé !

Où, et chez qui, selon vous, Leonard Cohen puise-t-il ses principales inspirations ? Quelle est l’importance de l’actualité dans ses œuvres subtilement engagées ?

Viviane Gravey : Dans une interview de 2001, Joni Mitchell qualifie Leonard Cohen de « poète de boudoir », et il est vrai que les chansons les plus célèbres de Leonard (en tout cas dans sa première partie de carrière) portent sur lui, et sur sa relation aux femmes, à son père et à travers lui à la chose militaire, à la religion. Mais Leonard sait sortir du boudoir : de nombreuses œuvres font appel, ou référence à ses poètes favoris (plusieurs chansons de Recent Songs s’inspirant de poésie perse, tandis que Dear Heather rend hommage à ses maîtres montréalais). Et enfin, rarement, il se saisit de l’actualité. Mais sa méfiance à l’égard des slogans fait qu’il traite toujours cette actualité de manière décalée, donnant lieu à ses paroles les plus bizarres : il mêle ainsi Castro, un espion à la James Bond, le LSD et la guerre du Kippour sur Field Commander Cohen, et se rappelle avec regret le « bon vieux temps » de Mao, Staline, le crack et la sodomie sur The Future.

Dans quelle mesure peut-on dire que Leonard Cohen a commencé en poésie pure, qu’il s’est extériorisé grâce à la musique, pour revenir (changé, bien sûr, quoique… la mélodie…) en poésie parlée avec une musique minimale (ainsi le dernier album : « Old Ideas ») ? Qu’en pensez-vous ?

Viviane Gravey : La complexité de la trajectoire de Leonard ne colle pas complètement à l’idée de ce mouvement de poésie à chanson à poésie de nouveau. Lorsqu’il se lance en chanson, Leonard est poète, mais il est aussi romancier – et dans l’un comme dans l’autre de ces rôles il en a chamboulé l’identité, en tissant des passerelles entre ces deux genres. Il dit beaucoup au début de sa carrière que pour lui la poésie est un verdict, un jugement rendu a posteriori, non un boulot. A ce titre-là, quel que soit son medium il est resté poète. Mais il est vrai que sa musique a connu des moments fastes, et des moments où elle semble avant tout au service de sa poésie. C’est en particulier le cas sur Dear Heather, son album de 2004, où il semble s’être fait à l’idée de ne plus faire que parler et de laisser chanter les autres. Mais pour moi, Old Ideas marque un retour du chanteur chez Leonard. Oui, sa voix est marquée par l’âge, mais il chante réellement. Et il innove, en travaillant avec de nouveaux producteurs, comme Patrick Leonard, connu plus pour ses travaux avec Madonna que pour son amour de la poésie !

Toujours selon vous, ses chansons majeures ?

Viviane Gravey : Hallelujah ou Suzanne sont des arbres qui cachent la forêt. Tout n’est pas bon chez Leonard, mais il y a un grand nombre d’excellentes chansons, et qui ne sont pas forcément ses plus célèbres. Dans sa première période, Avalanche et Famous Blue Raincoat sont fabuleuses. If It Be Your Will et Who By Fire doivent s’écouter ensemble, ces deux chansons, parmi ses plus religieuses, représentant un Leonard défaitiste, et un Leonard combatif. Field Commander Cohen et Tower of Songssont deux piqures de rappel souvent nécessaire que Leonard Cohen n’est pas (toujours) déprimant et sait se moquer de lui-même. Et enfin dans I’m Your Man, il se présente en amant parfait.

Et ses chansons mineures, moins connues peut-être, mais autrement importantes ?

Viviane Gravey : En contre-pied parfait au Leonard Cohen romantique de I’m Your Man ou Dance Me To The End Of Love, les chansons de New Skin For The Old Ceremony attaquant sa compagne d’alors, Suzanne Elrod, Why Don’t You Try, ou Is This What You Wanted montrent un Leonard mesquin, jaloux, plein de mauvaise foi, mais ô combien brillant. Dans un tout autre registre, son album Recent Songs de 1979 est celui où sa voix sonne le mieux. Enfin, pour entendre Leonard déclamer en poète, Villanelle For Our Time, le poème de F. R. Scott repris sur Dear Heather est un must.

Leonard Cohen, à part ses copistes ou ses copieurs ou ses interprètes, pourrait-il être « rapproché » d’un autre artiste de la vieille Europe ?

Viviane Gravey : Leonard Cohen a été rapproché de Brel par des critiques américains dans les années 70, et de fait, la comparaison tient plutôt bien : on retrouve chez ces deux chanteurs une intensité qui les met à part de leurs contemporains – et un grand attachement à leur ville, Montréal ou Bruxelles, qui se retrouve à travers toute leur discographie.

Didier Bazy
La Cause littéraire 30 avril 2013
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