Parution : 19/09/2013
ISBN : 9782360541003
80 pages (148x210)

10.00 €

Les Années vides

EXTRAIT

« Je pensais que le lycée me hisserait plus vite vers l’âge adulte. J’étais encore petit : sur le photo de classe, je suis parmi les assis du premier rang, tout près d’un coin où resterait un grand « A » cerclé peint à la bombe. Pour moi le lycée avait été peuplé par des gens supérieurs, qui avaient occupé le foyer, bombé les murs et mis le feu à la porte du surveillant général, Monsieur Lesourd. Je compris vite que ni moi ni personne n’en ferions autant. »

Les années vides sont celles de ce jeune homme qui intègre la sixième en 1969 quand d’autres changent, si ce n’est le monde, leur monde.
Découverte de l’adolescence, des relations, souvent complexes, qui s’établissent par logique, par hasard ou par dépit. Découverte du corps aussi, par le biais d’une professeur de français maoïste qui semble conforter le garçon dans une vision crue et réaliste de sa vie. Il s’écarte toujours plus de cette jeunesse fantasmée, il est comme écrasé par le poids des anciens. Certaines expériences pourraient l’intégrer à ce monde : expérience de la fumette, du sexe en groupe, du militantisme avec la mobilisation de l’hiver 1974 ou encore des concerts, mais rien ne le touche comme il l’espère. Il se sent vide, en-dessous de ce qu’on attend d’un jeune homme de son époque, imperméable aux plaisirs de la vie lycéenne et de ses distractions qu’il rabaisse au rang de supplices. La réponse se trouve peut-être dans la découverte des Beach Boys et de l’album Pet Sounds : « Des voix d’hommes se mêlaient trop aiguës, se perchant et s’étirant jusqu’à la fêlure. Ils tentaient en vain de redevenir des enfants, mais une lourde pierre lestait déjà leur cheville : ils disaient adieu, les yeux pleins de larmes, à cet âge de leur vie. [...] Ils se noyaient et c’est cela qu’en moi je pleurais sans honte. »

Revue de presse

- Les Années vides Pornochio Discipline in disorder
- L'histoire dans les romans de la rentrée 2/4 Emmanuel Laurentin France Culture // La Fabrique de l'Histoire 10 septembre 2013

- Les Années vides

LE SITE

Chaque jour désormais ressortent en vinyls des disques que j’avais eu l’adolescence d’acheter à leur sortie ou presque, et comme si cela ne suffisait pas, voilà qu’arrivent des rééditions de livres aimés il y a des années à peine, du moins il me semble, mais dont je lis en quatrième de couverture qu’ils sont, ah?, « introuvables depuis longtemps ».
Les Années vides de Michka Assayas ressortent. C’était, en 1990, un court roman autobiographique (70 pages tout au plus) paru chez L’Arpenteur. L’évocation serrée, blanche, d’une éducation sexuelle. Celle d’un adolescent taciturne, presque mutique, initié par une prof de français de C.E.S. dont les bouts de seins ressemblent à «des petites saucisses de cocktails» (ce détail m’est revenu en mémoire, et je suis ravi de le retrouver à sa bonne place, p.31). Tout ça dans la cour d’un lycée de banlieue parisienne des seventies à attendre à chaque printemps que Mai 68 revienne et que se reforment les Beatles. J’avais été surpris, à l’époque, par sa forme passive, son coté monocorde, son atonie (son agonie?) – elle était l’inverse du style fou furieux, rueur dans les brancards, que les anciens critiques rock se croyaient obligés d’arborer au moment de passer au roman. C’était là le livre d’un homme de trente-deux ans qui admirait Modiano, Jünger, et Arno Schmidt. Chaque paragraphe, court, concis, aurait pu servir de légende à un dessin de Floc’h ou de Sempé. Il y pesait tout entier le désenchantement d’une époque de transition (la fin des années 80/les premiers mois des années 90, époque de down généralisé, avant que l’arrivée de la techno ne balaie le ciel).

Je viens de le relire tout de suite après l’avoir racheté, ce midi au café, d’une traite, sans le relâcher (j’avais peur que sa fragilité ne l’effrite). Sa violence sourde m’impressionne soudain. J’ai peut-être enfin l’âge de recevoir en plein visage et dans toute leur dimension de dégoût de soi des choses aussi abruptes que « J’étais né vide, j’arrivais vide, et je voyais des grands possédés par une folie dont j’étais envieux, mais incapable. » On croirait un étang placide traversé en dessous par des courants souterrains inconnus.

«Quand elle parlait de ce qui était «superficiel», j’avais toujours l’impression que c’était de moi qu’il s’agissait. Je la revois avec ses lunettes fumées, sa coupe de cheveux austère, son corps de crevette, je revois ce C.E.S. Jacques-Rivière, avec «ses surveillants sympa», sa «conseillère d’éducation» au maquillage de Cléopâtre et aux cheveux tordus dans un chignon haineux, cette directrice à la tête de pharmacienne hébétée, que j’ai encore envie de frapper à coups de ceinture, et ces «bandes» de mômes imbéciles, déjà contents d’eux, fiers de leur petite virilité minable.» (P. 25)

Michka Assayas, Les Années vides, 1990, réédition Le mot et le reste, Paris, 2013

Pornochio
Discipline in disorder

- L'histoire dans les romans de la rentrée 2/4

Table ronde autour de trois ouvrages de la rentrée portant sur les années 1970. Les Années vides de Michka Assayas en fait partie.

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Emmanuel Laurentin
France Culture // La Fabrique de l'Histoire 10 septembre 2013
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