Parution : 19/05/2011
ISBN : 9782360540228
328 pages

24.00 €

Paroles

Introduction d’Olivier Bailly

Dick Annegarn aborde la soixantaine en publiant à quelques mois d’intervalle un disque et un livre qui dressent le bilan d’une carrière de quarante ans. Folk Talk, son dernier album, remonte aux sources de son histoire musicale. ” Officiellement ” Dick Annegarn est auteur-compositeur-interprète, une appellation trop orthodoxe pour cet irrégulier du verbe qui n’écrit pas comme ” on doit ”. Au grand examen de la chanson française, il est recalé. Il chante comme il écrit, écrit comme il parle. Sa parole est brute. C’est celle qu’on échange dans la rue, au bistrot, partout où l’homme se mélange. Folk signifie peuple, c’est de là qu’il vient.
Dick Annegarn est l’auteur de " Bruxelles ", " Mireille ", " Sacré géranium ", " Bébé éléphant ", des comptines qui se finissent mal, chansons fleuves à double fond ou chansons à tiroirs et à clés. Benedictus Albertus Annegarn est un citoyen du monde, dont la vie nomade le voit naître en Hollande avant de passer son adolescence à Bruxelles où il apprend la guitare en autodidacte puis débarquer à Paris en 1972. En 1978, âgé de vingt-six ans, il se lasse du show-business, préférant sa liberté aux compromis d’un milieu dont il se sent étranger. Il tiendra une épicerie sur une péniche, collectera la parole des citoyens, continuera à produire des disques. Cela durera vingt ans, presque. Les plus jeunes redécouvrent ce chanteur à la voix épaisse et au jeu de guitare complexe. Ils s’initient à la prosodie et à la syntaxe de ce "beur hollandais" qui barbarise la langue, lui enlève son corset, la rend aimable et proche de nous, loin de l’académisme froid. Éternel étranger, irrégulier, Dick Annegarn vit dans un village du sud-ouest de la France, quand il n’est pas sur les routes pour rencontrer son public. Il est l’auteur de plus de cent quatre-vingts textes de chansons qui font l’objet de cet ouvrage. Cette somme est complétée par des photographies, un retour sur la carrière du musicien et une analyse thématique des chansons par Olivier Bailly, journaliste indépendant, en collaboration avec l’auteur.

Revue de presse

- Dans le sens du Vian Bruno Pfeiffer ça va jazzer ! 28 décembre 2011
- LE BILLET DE TRAIN DE DICK ANNEGARN Nos Enchanteurs
- Des lectures musicale pour l'été Raymond Sérini Nouvelle Vague 20 juillet 2011
- Paroles Olivier Martin Idoles Mag Août 2011
- Paroles Alain Pilot RFI // Bande passante 16 juillet 2011
- LES MOTS DITS DE L'AMI DICK THIERRY COLJON LE SOIR 13 juillet 2011
- Dick Annegarn au micro de France Bleue France Bleue // Les Francofolies de La Rochelle 13 juillet 2011
- SI DICK ANNEGARN EST UNE TRUITE, CAPTAIN BEEFHEART S'APPELLE LEIBNIZ Guy Darol LE MAGAZINE DES LIVRES juillet-août 2011
- LE FOLK EN 4 LECONS Marie GALLIC et Johanna LUYSSEN Causette juillet-août 2011
- Paroles Richard ROBERT L'Oreille absolue mai 2011
- ANNEGARN JOUE AVEC SES MOTS Yves Gabay LA DÉPÊCHE DU MIDI 10 juin 2011
- Paroles Marie Gallic NABBU juin 2011
- DICK ANNEGARN COURT TOUJOURS... Isabelle RAEPSAET Nord Eclair 8 juin 2011
- DICK ANNEGARN SE LIVRE les Inrockuptibles 1er - 7 juin 2011
- EN GARDE, V'LA ANNEGARN Denis Bonneville La Marseillaise 27 mai 2011
- DICK ANNEGARN INSPIRE PAR LES BELLES LETTRES Olga Bibiloni La Provence 27 mai 2011
- Paroles Noé Gaillard Murmures juin 2011
- LA MATIERE DES MOTS : PAROLES Laurent Demoulin Culture, journal de l'université de Liège mai 2011
- DICK ANNEGARN l'AMERICAIN RFI Musique février 2011

- Dans le sens du Vian

Parmi les conseils de lectures musicales de Bruno Pfeiffer, pour cette fin d’année 2011, l’accent est mis sur Dick Annegarn et ses paroles :

“Les chansons de Dick Annegarn, cela fait trente ans que je les écoute. Bruxelles, Sacré Géranium, Mireille, Bébé Eléphant, colorient mon imaginaire. Singulièrement, les amateurs de chansons francophone placent le Hollandais loin derrière la sainte trinité (Brassens, Brel, Ferré). Dommageable erreur d’appréciation. En effet, avec Paroles (Editions Le Mot et le Reste), 180 exemples plaident pour ranger Messire Benedictus Albertus Annegarn, troubadour folk né en 1952 à La Haye, parmi les créateurs majuscules, au même titre qu’un Félix Leclerc. Ou qu’un Guy Béart. Ecoutez Folk Talk, son dernier CD, sur le label Tôt ou Tard : total canon dans la tradition du genre. Une bio fouillée, ainsi qu’une analyse thématique des chansons, complètent la somme.”

ça va jazzer

Bruno Pfeiffer
ça va jazzer ! 28 décembre 2011

- LE BILLET DE TRAIN DE DICK ANNEGARN

A cette époque-là, il avait, hasard extraordinaire, son clone de papier, croqué par Cabu : ce grand Duduche dodelinant, grand et maigre, petites lunettes rondes, jean et baskets, cheveux blonds… Pareil pour Dick Annegarn, grand échalas chantant, un peu paumé dans un monde si différent de lui. Hollandais vivant pour l’heure à Bruxelles, le jeune Annegarn prend le train pour Paris, là où « une nouvelle chanson arrivait : Higelin, Claude Nougaro, Marcel Dadi… » Dick n’envisage rien dans la chanson, ni disques ni carrière : il a juste, grand luxe, une année à perdre. Un de ses amis, ça tombe bien, a un pied-à-terre à Paris : « J’ai passé un week-end qui a duré quelques mois ». Dans la Capitale, l’excellent guitariste qu’il est reprend des standards américains, fait pas mal d’autres découvertes, s’imprègne de jazz. Et se constitue un répertoire français « pour tourner quelques mois en France » puis repartir : « Trenet chante « Madame, vous oubliez votre cheval ! », j’en ai fait « Ah ce qu’on est bien dans ce jardin ! » J’ai réalisé des commandes que je me suis passées à moi-même. La musique du refrain d’ « Ubu » est inspirée de « Valentine » de Maurice Chevalier. » Il chante ici et là et ça se remarque. Maxime Le Forestier a repéré cet olibrius et le présente à Jacques Bedos, directeur artistique chez Polydor. Nous sommes en 1973. Devant Bedos, Dick interprète Bruxelles. Silence, Bedos réfléchit. Et temporise : « On va voir… » « Comment, on va voir ? fait mine de s’insurger Annegarn. J’ai mon billet de train. Il est valable trois jours, il me faut un contrat dans trois jours, le disque dans trois mois et un contrat de trois ans, sinon je rentre à Bruxelles, ça en m’intéresse pas. » Dick bluffe : il n’avait pas de billet de train…

Peu ou prou, vous connaissez la suite. Mais sans doute pas vraiment. L’autobiographie de Dick Annegarn est en exergue de son livre « Paroles » : l’intégrale de ses presque deux-cent textes, dilués dans l’ordre alphabétique. La partie « bio » est partagée, en guise d’introduction, sous forme d’interview, avec Olivier Bailly. Et c’est passionnant, vivant, nerveux, trépidant. Il y a quelques mois, Dick Annegarn a sorti un nouvel album, « Folk talk » (toujours chez Tôt ou tard), où il retourne aux origines de son art, ses fondamentaux à lui, reprenant ces fameux standards américains. C’est dire si ce livre fait écho. Un beau livre du reste, au papier soyeux, au format sympa, pavé qui tient bien en mains. Qui donne envie de se replonger dans tout Dick Annegarn, dans ce qui est connu (Ubu, L’institutrice, Bébé éléphant, Mireille, La transformation, Le grand dîner, Albert…) bien sûr, et dans tout le reste, dans son métier de chanteur et ses ruptures, son statut qui, au fil des ans, est devenu sa stature.

Dick Annegarn (et Olivier Bailly), « Paroles », 2011, collection Ecrits aux éditions Le Mot et le reste ; le site de Dick Annegarn.

Nos enchanteurs

Nos Enchanteurs

- Des lectures musicale pour l'été
Note : 4
Quelques nouveautés bienvenues chez l’excellent éditeur provençal Le Mot et Le Reste. Jérôme Solal consacre un ouvrage concis à Antony Hegarty, chanteur d’Antony & the Johnsons, auteur d’une poignée d’albums envoûtants, sobrement intitulé La Voix d’Antony. Benoît Delaune s’attarde lui, à décrypter l’œuvre du Captain Beefheart and His Magic Band(s), quelques mois après la mort du musicien et peintre, ami de Franck Zappa. Enfin, l’éditeur propose l’intégrale des textes d’un chanteur, l’enthousiasmant Dick Annegarn, agrémentée de quelques très belles photos de cet inlassable baroudeur. Trois beaux ouvrages pour découvrir ou redécouvrir trois artistes inclassables, libres, indispensables...
Raymond Sérini
Nouvelle Vague 20 juillet 2011

- Paroles

Belle idée que ce recueil de « Paroles » de Dick Annegarn, aux Éditions « Le mot et le Reste ».

La parole de Dick Annegarn est brute. Souvent, il invente des mots, comme le faisait Rimbaud. Ses néologismes, toujours à propos, font d’ailleurs partie intégrante de son oeuvre. Comme il le dit lui-même, « Je pratique, j’écris le Français parlé ».

Né aux Pays-Bas, Dick Annegarn se définit comme un « Nolandais ». Il passe une bonne partie de sa jeunesse en Belgique avant de partir s’installer à Paris. C’est là qu’il rencontre Jacques Bedos, alors Directeur Artistique chez Polydor. Annegarn lui présente ses chansons, Bedos lui dit « On va voir ». Dick lui explique alors qu’il doit repartir pour Bruxelles dans les trois jours, donc, il lui signe un contrat ou non. Un coup de bluff qui lui offrira son premier contrat dans une maison de disques. La suite, on la connaît, ou presque.

Les premières pages de cet ouvrage retracent la vie et la carrière de Dick Annegarn. N’allez pas penser qu’il s’agit d’une biographie, pas du tout. Il s’agit plutôt d’un survol du parcours de Dick Annegarn fait par Olivier Bailly, et commenté par le principal intéressé. On y trouve tout de même différentes petites anecdotes assez amusantes, comme celle de la chanson « Il pleut », qui figure sur l’album « Approche-toi » paru en 1998, qui est une chanson écrite en 1973 originellement pour Françoise Hardy… qui la lui a refusée parce qu’elle était trop difficile à chanter. Il lui proposera quelques années plus tard « Châteaux d’Edgar Allan Poe », « parce qu’il n’y avait que trois notes »...
Tout au long de cette introduction aux textes de ses chansons, Dick Annegarn commente son œuvre, mais aussi son parcours d’artiste et d’homme. Il y explique que pour lui l’homosexualité « a toujours été une insulte aux certitudes, aux conventions », que « c’est une forme de révolte plus qu’une sexualité ». Il évoque également « Bruxelles », dans laquelle il écrit une lettre à Bruxelles, mais il faut comprendre Michel… « Bruxelles », chanson ô combien emblématique de son répertoire, aborde l’ambiguïté et la solitude, deux thèmes récurrents dans l’œuvre d’Annegarn.

À la lecture de ses « Paroles », on se rend compte que les mots de Dick Annegarn peuvent exister sans ses mélodies. On en oublie les chansons, pour se concentrer sur la poésie des mots. On se plaît à redécouvrir l’artiste ou du moins, on aborde son œuvre différemment. Saluons l’analyse thématique des chansons par Olivier Bailly et les Éditions Le mot et Le Reste pour cet ouvrage particulièrement intéressant.

Dick Annegarn est certes auteur, mais il est essentiellement chanteur! Son dernier album, « Folk Talk » est sorti chez Tôt ou Tard le 7 février dernier. Vous pourrez aller l’applaudir à la Fête de l’Humanité à La Courneuve (93) en septembre, à Toulouse (31) le 21 septembre, à Lattes (34) le 29 septembre, à Bruxelles le 1er octobre et à Nantes (44) le 18 octobre.

Idoles Mag

Olivier Martin
Idoles Mag Août 2011

- Paroles

A l’occasion de la parution de l’ouvrage PAROLES, interview et enregistrement acoustique live de Dick Annegarn sur les ondes de radio France internationale (RFI / émission bande passante).

Pour réécouter l’émission :

bande passante

Alain Pilot
RFI // Bande passante 16 juillet 2011

- LES MOTS DITS DE L'AMI DICK

*” LES MOTS DITS DE L’AMI DICK
Le Livre « Paroles » rassemble tous les textes de Dick Annegarn*

Bonnes nouvelles de l’éternel exilé gascon, le « Nolandais » qui a laissé à Bruxelles une adolescence et surtout une chanson superbe du même nom. Dick Annegarn, le fou des mots, est de retour, à 59 ans, en disque, sur scène et en librairie. Dick a publié, il y a quelques mois, son premier album en anglais, Folk Talk, qu’il défendra au Théâtre 140 le 1er octobre, quarante ans après y avoir mis les pieds une première fois. Un disque où il reprend les chansons des maîtres du blues et du folk américains.
Et voilà maintenant qu’il publie Paroles, qui regroupe tous ses textes, des photos et une notice biographique. Tout cela a comme un goût de bilan : « Paroles, c’est mon idée, nous avoue-t-il. C’est un livre durable, avec une belle typographie. Paroles de Dick, ça fait un peu parole de Dieu, un petit côté biblique et spirituel. C’est la première fois que tous mes textes sont ainsi réunis. Quand je pense que pour la compilation hommage Le grand dîner, l’éditeur des chansons voulait nous faire payer si on reproduisait les paroles dans le livret… Dans les paroles se trouvent la musique et le sens de la musique. Il y a des chansons qui sont des blagues, comme “Ubu”, qui n’était pas faite pour être écrite. Il y en a plus de 180 par ordre alphabétique, sans chronologie particulière. C’est un peu désinvolte, oui. »
C’est le plus grand des hasards qui fait que cette somme francophone arrive au même moment que son entrée dans la chanson anglo-saxonne : « Pour moi, c’est un retour aux
sources. J’aurais dû commencer ma carrière par Folk Talk. Ce disque honore les grands, c’est honneur aux ancêtres et sur scène, il n’y aura qu’eux. Toute ma vie, j’ai voulu écrire le folk de l’avenir. J’ai toujours essayé d’être folk en écrivant mes chansons en français. Le folk est une formule qui reste. Il y a des bulles dans les mots. Mon envie était de marquer les esprits, même si la volonté de vendre des disques n’est pas drôle. J’ai écrit quelques chansons en anglais, notamment une pour Ray Charles. C’est plus facile pour les diphtongues mais je n’ai pas assez de vocabulaire ni de pratique. »
Depuis dix ans, Dick Annegarn organise en Haute-Garonne, où il vit, un Festival du Verbe. Fait Docteur Honoris Causa en 2009 par l’Université de Liège, Dick a été sollicité pour monter en bord de Meuse un Festival international du Verbe, Annegarn a répondu présent.
Après plusieurs reports, le festival devait se dérouler en juin dernier, avant d’être définitivement annulé. Dick est loin d’être heureux de la chose, vu qu’il s’y est longtemps investi : « De nombreux invités avaient déjà donné leur accord : Calogero, Axelle Red, Dave, Christophe… Mais l’académisme a eu raison du recteur. Certains, apparemment, ont pris peur de l’aspect social, alternatif, militant du festival. Je n’ai jamais parlé d’argent et les artistes ne demandaient rien mais monter une telle manifestation, ça coûte un peu d’argent tout de même. Devant l’incapacité de l’Université d’organiser ce festival, je préfère laisser tomber. En automne, on va monter à Toulouse la Caravane du Verbe. On ira partout où on sera le bienvenu. Raphael et Christophe ont déjà dit oui. Le thème, ce sera Rimbaud cette année. »
Les mots, la véritable passion de Dick. Plus que le business de la musique où il se sent de moins en moins chez lui : « En 1972, j’ai avancé à reculons et je continue aujourd’hui à vouloir quitter le métier. Mon problème, c’est moi ! » Si l’ami Annegarn devait abandonner l’industrie du disque au profit du seul verbe, la musique perdrait un grand Monsieur !

THIERRY COLJON
LE SOIR 13 juillet 2011

- Dick Annegarn au micro de France Bleue

Dick Annegarn, au micro de France Bleue, nous parle de ses chansons, de son livre Paroles, et de sa participations aux Folies littéraires.

France Bleue

France Bleue // Les Francofolies de La Rochelle 13 juillet 2011

- SI DICK ANNEGARN EST UNE TRUITE, CAPTAIN BEEFHEART S'APPELLE LEIBNIZ

Pour qui s’est laissé envoûter au début des années 1970 par les volutes chantées de Dick Annegarn, rondes de mots habillement assemblés qui refusent le dos rond, l’édition des textes du Hollandais batelant est une bénédiction. La grande affaire est la réunion des écrits d’un homme portant guitare et musette d’authentique voyageur, précédée des lumières d’Olivier Bailly, coruscant éclaireur des œuvres de Robert Giraud (Monsieur Bob, Stock, 2009), lequel appartient à l’occulte confrérie des poètes en actes.
L’auteur de Sacré Géranium, Le Grand Dîner, Mireille est en effet doublé (non pas à l’intérieur comme une peau de camouflage) d’un véritable poète, nullement princier, qui le rapproche de ces astres vifs où brillent les noms de François Villon et de Leo Ferré, ces voyous de grand chemin pour qui le verbe est un recours faute d’être un secours.
On se doutait en écoutant L’Orage que Dick Annegarn ne promettait pas des lanternes synonymes de vessies, qu’il ne se contenterait pas de nous aider à faire passer le temps au moyen de ritournelles saupoudrées à l’opium du peuple. Il fit cet acte magistral de composer un libelle définitif qui le mettait une fois pour toutes à l’abri des ambitions du bizness. Il refusa qu’on le capture dans les filets de la chanson française (y compris engagée) susceptible d’enrichir les profits des majors du disque. Il devint ce timonier des bords de Marne qui halait les flâneurs du dimanche.
Souvent, venant du bois de Vincennes, je me rendais à ce bien curieux rendez-vous où présidait dans sa buvette-péniche le chanteur pétillant converti en vendeur de bulles. Nous conversions de la pluie, du beau temps, en nous laissant bercer par une faible houle. Il n’avait pas pour autant renoncé à faire entendre ses vers nouveaux. Sa discographie en témoigne longue de 18 artefacts jusqu’à Folk Talk (Tôt ou Tard, 2011), recueil de covers signant sa dilection pour les antiennes du blues. Puis vint ce livre dans lequel on pénètre comme dans un mausolée, assuré de respirer l’air du large et de subir, en ces temps de pacotilles, une saine cure de désintoxication.
(...)

Guy Darol
LE MAGAZINE DES LIVRES juillet-août 2011

- LE FOLK EN 4 LECONS

On connaissait Dick Annegarn pour ses ritournelles à la poétique simplicité, Bruxelles ou Sacré géranium, qu’il chante de sa belle voix tendre et rocailleuse depuis 37 ans; on le connaissait moins fan de folk. Pourtant, le chanteur hollandais a forgé sa culture musicale dans cette musique populaire qui vit toujours ” dans les gares ou les bus ” d’Amérique. Dans Folk Talk, son vingtième album, Dick reprend les standards les plus célèbres du genre. The House of the Rising Sun ou Love me Tender. C’est donc en expert qu’il nous cause folk, blues, guitares et chansons populaires. Avec la verve qui sied à son caractère : car le bonhomme a la saillie facile et le verbe passionné.

- LECON N°1 : LA GUITARE NE FAIT PAS LE ” FOLKEUX
Dick a le folk dans le sang, alors gare aux pâles copies ! “Aujourd’hui, dès qu’on voit une guitare acoustique, on parle de folk. Même le terme folklore, ça fait tout de suite petite robe à fleurs. Yael Naïm, par exemple, c’est pas du folk ! Elle joue avec une GUITARE folk, mais elle fait de la pop song.”
Dick a beau chercher, il a du mal à envisager une scène folk actuelle. “Tout ce que j’entends aujourd’hui est oubliable. Enfin, je l’oublie plutôt. Alors que les vraies chansons folk restent, c’est leur génie.”

- LECON N°2 : LE FOLK N’EST PAS UNE MUSIQUE FIGEE
Le folk selon saint Dick ? “C’est un terme générique pour désigner les musiques populaires du monde.” Des chansons toutes simples, aux accords basiques, que l’on se transmet de chanteur en interprète, et dont la patine se fait avec le temps. Quand il évoque la beauté de certaines interprétations, Dick se fait lyrique : “Prenez la chanteuse Odetta (grande inspiratrice de Dylan et de Janis Joplin, NDLR). Elle chante une chanson de cow-boy et pourtant, c’est une grande Noire avec une cathédrale dans la voix.” Sur son album, Dick reprend Black Girl, une chanson de la fin du 19e s., interprétée aussi bien par le chanteur Pete Seeger, en 1958, que par Kurt Cobain, en 1993. “C’est une chanson sociale au départ, une chronique du monde du travail. Par Kurt Cobain, évidemment, c’est tout à fait autre chose. Sa femme était blonde, alors il n’a pas chanté Black Girl mais My Girl. Kurt Cobain a fait de cette chanson de miséricorde, une déclaration à son amoureuse. C’est l’individualisme un peu psychotique de la pop star.” Voilà pour la théorie. (...)

- LECON N°3 : L’ORAL PRECEDE L’ECRIT
Amoureux des mots, Dick Annegarn organise chaque année le Festival du verbe à Laffite-Toupière, village paumé en campagne toulousaine, où il a élu domicile, il y a quelques années. (...) D’ailleurs, il vient de paraître son premier recueil… de chansons, justement, appelé Paroles… (...)

- LECON N°4 : LE FOLK N’EST PAS UNE MUSIQUE D’AMERICAINS
Si la country est une musique de paysans du Midwest, le folk blues puise ses origines dans le monde entier. Un métissage que Dick revendique (...). En bon “Nolandais”, comme il aime à se décrire, Dick n’a de comptes à rendre à aucune patrie, et refuse catégoriquement de se définir comme chanteur français. Pas par mépris, non, c’est seulement que, pour lui, le “chanteur français” n’existe pas. “Claude François, Mathieu Chedid, Hallyday, Brel, Aznavour… Ils ne sont pas français. Même Brassens, c’est un Rital. Et Piaf, une Berbère… Dans ma génération, y’a pas de chanteurs français.”
Enfin une bonne explication à nos échecs à l’Eurovision !

A LIRE : Paroles, préface d’Olivier Bailly, éditions le Mot et le Reste, 2011.
A ECOUTER : Folk Talk, Tôt ou tard, éditions le Mot et le Reste, 2011.
A VOIR : Festival du Verbe, du 21 au 25 septembre à Toulouse, Aurignac, Laffite-Toupière et Saint-Martory.

Marie GALLIC et Johanna LUYSSEN
Causette juillet-août 2011

- Paroles

Comment un chantre de l’oralité, de la parole chantée et portée, se laisse-t-il tenter par la mise à plat et en page de tout son répertoire ? Réponse avec DICK ANNEGARN, haute figure de la “ouïtérature” qui voit quarante ans de verbe fort rassemblées dans un recueil sobrement intitulé Paroles.

Dick Annegarn : Le principal intérêt d’un livre, pour moi, après quarante ans de chansons et vingt disques, c’est qu’on puisse lire mes textes ailleurs que sur des livrets de CD en caractère de taille 6 et mal imprimés… Il y a assez de poètes illisibles, même quand on arrive à les déchiffrer typographiquement, qui ont de belles publications ! Les éditions Le Mot et le Reste m’ont sollicité alors que je n’y croyais quasiment plus – j’avais moi-même lancé quelques pistes, en vain. Elles se vantaient de faire les salons, d’être bien présentes sur le circuit. Et en effet, je me suis rendu compte que c’était sérieux, qu’il y avait aussi un beau travail éditorial, notamment sur la pop culture des années 70, avec des bouquins sur Albert Ayler comme sur les séances d’enregistrement des Beatles ou la scène alternative française… Ces gens-là, je les vois comme des anarchistes qui, pour une fois, seraient doublés de vrais éditeurs, ou comme des compagnons qui ont le sens de la belle ouvrage. Les livres ont tous le même format, une identité visuelle forte. Et puis on les trouve !
Et pas seulement pendant ces deux ou trois années où certains éditeurs, après avoir touché un héritage, vont prétendre avoir “favorisé la culture”, hein… Non, ça fait dix ans que Le Mot et le Reste existe, que cette maison a sa place dans les bonnes librairies comme à la Fnac. La seule chose où j’ai eu quelque chose à redire, c’est sur la quatrième page de couverture : j’ai fait enlever l’expression “chanteur libertaire”, parce que je ne sais même pas ce que c’est. Je n’ai jamais lu ni Marx, ni Engels, ni Bakounine… Moi, je suis un auteur autiste qui est juste très heureux de voir ses textes enfin publiés.

Il y a quelque chose de surprenant à voir quelqu’un comme toi, plutôt chantre de l’oralité et des formes de transmission qui en découlent, tenir autant à ce que ses textes soient fixés, imprimés. 
C’est vrai… Je me suis aussi prêté au jeu de l’introduction, dont je ne voulais pas au départ. L’éditeur m’avait dit : “Tu es libre, tu peux écrire ce que tu veux”. Mais non, moi, en général, je n’écris pas ce que je veux. Déjà, la chanson, c’est une discipline de la mémoire, métrique, rythmique… La rime, aussi, est une contrainte. Il y a tout un travail sur l’aspect sonore des mots. Après, je ne me voyais pas écrire un texte autobiographique : il y a des interviews pour ça. Je ne voulais pas faire une bavarderie ni un gros billet libre signé de ma main. C’est là qu’Olivier Bailly est entré en scène : il a fait un entretien, qu’il a structuré dans un récit de 60 pages. C’est lui, aussi, qui a validé le principe de classement des chansons par ordre alphabétique. Je n’ai pas voulu organiser mon écriture, avec ma période rose, ma période bleue, tout ça… Ce qui donne en fin de compte un ouvrage à compulser en milieu scolaire, ou à destination de ceux qui voudraient chanter ces textes. La question, à laquelle je n’ai toujours pas de réponse, c’est : “Est-ce que mes textes valent vraiment la peine d’être lus ?”. Celui qui ne connaît pas mes chansons, est-ce qu’en dehors de l’introduction et des photos, il va trouver là-dedans quelque chose ressemblant à de la poésie qui se lit ? Je ne sais toujours pas.

Est-ce que tu aurais publié ces textes si tu ne croyais pas toi-même à leur valeur poétique?

Ce livre, c’est une tentative. Je me souviens d’une discussion avec Maxime Le Forestier, qui était outré qu’on puisse dissocier des textes de chansons de la musique qui les soutient. En effet… Sauf qu’il y a de la musique dans les paroles et qu’il y a quand même une autonomie possible. Après, savoir si ça peut intéresser les gens, si ça se lit aussi facilement ou difficilement que ça s’entend… Je n’ai pas de réponse.


Toi-même, quand tu as le texte d’une possible nouvelle chanson qui te travaille, tu ne l’écris pas : tu le gardes et le transformes dans ton esprit, tu le retiens ou tu l’oublies…

Oui, ça passe par le filtre de la mémoire et de l’oubli, et aussi par la recherche de la “solution idéale” – comme on dit en pataphysique. Ça n’a pas besoin de correspondre à un style donné... En ce moment, j’essaie d’écrire un opéra sur l’épopée de Gilgamesh [héros de récits épiques dans la mythologie sumérienne, auquel Dick Annegarn a déjà consacré une chanson dans l’album Chansons fleuves]. Il en existe déjà un, d’ailleurs, mais il est bien lourdingue… Bref, ce nom-là, “Gilgamesh”, sonne mal dans nos bouches d’Européens. Mais j’ai trouvé que son père s’appelait Lugalbanda. Alors j’essaie en ce moment de trouver la première phrase de mon opéra avec ce nom-là. Tous les matins, la première chose que je fais en me réveillant, c’est d’enregistrer quelques notes avec le mot “Lugalbanda”, d’essayer de le placer dans une phrase musicale. Et pendant ce temps-là, je bouquine, je bouquine, ou je cherche sur internet. Je me suis remis petit à petit à la beauté de ces contes, et je me suis retrouvé dans un rêve. Les histoires sont fantastiques… A un moment, entre deux villes, les frères de Lugalbanda le laissent dans une grotte avec de la bière et à manger, en lui disant en gros : “On vient te retrouver, si t’es pas mort…” Voilà avec quoi je m’endors. Et je me réveille avec trois notes. Je ne sais toujours pas par quelle alchimie j’arrive à finir une phrase. Autant dire que pour arriver à en écrire plusieurs, je passe par des chemins terribles ! Je fais trois fois le tour du monde, je dors cinq cents nuits avant de trouver “A quoi pensent les Tchèques ?” ou “Pas besoin de sous pour être bien/Pas besoin de vin pour être saoul”... Bon, à mes débuts, ça allait plus vite, quand même. Je faisais simplement le tour de ma chambre, et quand venait l’orage, j’écrivais L’Orage… Je me suis juré d’être un chanteur qui fait des récits, qui raconte des histoires. Alors, avant d’écrire, il faut que je m’intéresse à l’histoire et à la géographie… 
Tout ce temps et ces détours, tu les vois parfois comme des contraintes ? Ou tu trouves ces voyages agréables ? 
Oui, ces voyages-là, s’intéresser aux autres, à d’autres écritures et d’autres langues, ça reste agréable. C’est une étude qui me maintient en forme intellectuellement. Je trouve des bouquins, de la documentation, je vais dans les musées… Comme j’écris une chanson sur Modigliani pour Calogero, je suis allé en Toscane et je vais me faire Montmartre pour m’imprégner des couleurs de ses tableaux. Tout ce travail d’imprégnation est agréable. Maintenant, ce qui est beaucoup plus déplaisant, c’est que ça fait un an que je n’ai pas écrit une ligne. C’est comme la hantise de ne pas trouver la “solution idéale”. Je n’ai même pas de brouillons. Je regarde ma guitare qui me regarde, et rien ne sort. C’est une espèce d’impuissance conjugale entre ma femme poésie et moi. Nous n’arrivons pas à produire des enfants en ce moment.


Est-ce que ça t’est déjà arrivé ?

Oui… Et c’est là qu’une commande peut accélérer un peu le processus, réactiver si l’on veut le Strauss-Kahn qui est en moi… Souvent, il y a quand même des brouillons existants, qui aboutissent quand il faut. Je me retrouve aussi avec des idées d’il y a quinze ou vingt ans, que je peux rafraîchir, ou alors il y a des éclats qui surviennent, comme ça. Je ne bois pas, je ne fume plus… C’est peut-être ça, aussi : avant, je fumais un petit pétard et ça venait plus facilement. Mais on peut aussi se mettre dans des états d’ivresse poétique, être heureux de lutter pour donner une forme à nos idées. Chez les soufis ou les Bâuls, chez les mystiques souvent, il y en a plein, des confréries de poètes qui se mettent dans de tels états d’ivresse, qu’elle soit poétique ou religieuse, sans nécessairement se défoncer… Quand j’organise le Festival du Verbe, avec mes Amis du Verbe, ça sert à ça : à se retrouver dans une espèce de grâce poétique entre chercheurs, entre brelles, entre maladroits… On essaie de trouver une adresse dans nos erreurs, d’être un peu indulgents avec ces pensées pas finies, ces Vénus de Milo que sont nos chansons, nos poèmes ou nos styles. J’ai besoin d’être dans un bain, dans un rêve avec d’autres artistes ou hommes d’esprit : ça me saoule, mais dans le bon sens du terme… Mais par ailleurs, je préfère ne pas conclure tant que ce n’est pas nécessaire. Lenine, que je n’ai donc pas lu, a écrit Que faire ? Moi, ce serait plutôt Que dire ?, Pourquoi dire ?, voire A quoi bon ?... Il faut quand même que je trouve un sens à tout ça. C’est pour ça que je me suis toujours donné des commandes à moi-même. Mais quand il n’y a pas d’urgence, eh bien on étudie, on tergiverse, on voyage. Sans résultat, mais ce n’est pas grave. Ce n’est pas productif, mais c’est important aussi de ne rien faire ou de ne rien penser. Ou de faire des siestes et de tout oublier…

Cette indulgence, tu l’appliques aussi à tes chansons passées ? Y a-t-il dans Paroles des textes que tu trouves un peu mal formés, un peu bancals, mais que tu acceptes comme tels ?

Non, pas vraiment. C’est avec mes enregistrements que je suis beaucoup moins indulgent. Je les écoute comme j’écoute Otis Redding en live : je vois et j’entends le producteur véreux, avec son cigare, qui dit qu’on va enregistrer en public parce que ça va coûter moins cher… Dans les disques, je sens la production, les moyens, les phénomènes de mode, les tricheries, l’argent, le montage financier, la pochette… Tout ça me conditionne dans l’écoute. Du coup, quand ils sont sortis de tout ça, les textes m’apparaissent beaucoup plus purs : mon esprit est moins pollué quand je les lis que quand j’écoute un disque avec une pochette, un son de basse ou de batterie qui sent les années 90 ou 2000. Je suis trop du métier pour me laisser rêver : j’entends tout, jusqu’à l’ordinateur et au micro qui sont derrière. Alors que, maintenant qu’ils sont classés par ordre alphabétique, je suis beaucoup plus indulgent avec mes textes… Le principal intérêt de ce livre, c’est le “gris typographique” que ça crée : les tabulations, les refrains à gauche ou à droite, les strophes quatre par quatre… Franchement, je n’ai rien révolutionné dans la structure des chansons. Mais retrouver cette structure dans la typographie, ça m’est agréable. C’est là où j’aime bien défendre la contrainte métrique de la rime et de la chanson. C’est beaucoup plus difficile d’exprimer quelque chose en quatre par quatre, en ABBA, ça a un côté militaire… Donc, je suis pas mal fier que ça tienne sur une page, que ça soit structuré et que ça existe même d’un point de vue graphique. C’est en tout cas moins connoté que ma première pochette d’album, par exemple, qui était hideusement psychédélique – c’est la première et la dernière fois que j’ai laissé faire une pochette par une maison de disques… Le visuel, la tronche des artistes, tout ça, ça pollue quand même la perception des chansons. A la limite, même la voix des artistes n’est pas indispensable. Moi, j’ai commencé à être un peu fier de mes chansons quand Bashung, Arno ou Arthur H ont repris mes chansons. Dans sa version de La Limonade, Arthur H a plus une voix de tavernier que moi. J’aime cette idée que mes chansons ne m’appartiennent plus, qu’elles sont dissociées de ma voix. C’est peut-être ça, ma raison d’être : écrire des chansons qui iront ailleurs que dans ma bouche.

Tu as souvent dit que tu aimais les rêves parce qu’ils brisent l’ordre du temps. C’est ce que fait aussi ce recueil de chansons en privilégiant l’ordre alphabétique contre la logique chronologique.

Les rêves sont désordonnés, oui… On s’approche de sa sœur, et on se retrouve avec une reine d’un pays qui n’existe pas. Bon, je n’ai pas de rêves incestueux avec ma sœur ni avec d’autres personnes de ma famille, hein… Mais enfin voilà : une femme peut devenir ma sœur, une sœur peut devenir ma femme dans le même trait de rêve. Il y a une autre cohérence que celle du temps… Pour le livre, l’éditeur trouvait que l’idée de l’ordre alphabétique était un peu quelconque par rapport au développement de mon style, aux courants intérieurs qui ont pu irriguer mon écriture depuis tout ce temps. C’est vrai qu’entre le “zoum zoum” de Mireille et des épopées très sérieuses comme Xilinji ou Gilgamesh, il y a un monde. Bon, mon chef-d’œuvre de la littérature française le plus connu, ça reste “zoum zoum zoum zoum”... J’admets donc que cette méthode de classification est quelconque. Mais elle correspond aussi au monde des rêves : on rigole, et puis tout à coup ça ne va plus du tout. Dans Mireille, la mouche qui fait rire, à la fin elle crève… Le plus grand exemple de cohérence académique qu’on a pu me proposer est venu des gens de l’Université de Liège [où il a été élevé au rang de doctor honoris causa en septembre 2009, en compagnie de Robert Wyatt, Archie Shepp, Arvo Pärt ou Anthony Braxton]. Ils m’ont soumis l’idée d’une Fondation Dick Annegarn, à laquelle je devais confier mes manuscrits et mes brouillons pour qu’ils soient étudiés. J’ai dit non. D’abord, je ne suis pas mort, pas fini. Et puis je me sers encore de ces vieux brouillons pour écrire… Si on doit confier mes textes à des académiciens ou à des spécialistes de courants d’écriture, je préfère être mort. Il y a beaucoup d’artistes qui, comme Nietzsche ou Artaud, ont été trahis par des classifications coupables, faites parfois par leurs propres ayant-droit. De mon vivant, je préfère que mon travail reste dans cette incohérence. Moi-même, je ne me donne pas le droit de me classer autrement. Et j’aimerais autant que d’autres ne rangent pas mes armoires. [Il se met à chanter à tue-tête Le Tango funèbre de Jacques Brel] “Ils ouvrent mes armoires, ils tâtent mes faïences/Ha ha ha ha ha ha ha/Aaah je les vois déjà, me couvrant de baisers”... Brel parle bien de ce droit que s’arrogent des gens sur des morts, ou sur une écriture qui est finie.


Pourrait-on faire un livre avec toutes les chansons que tu as oubliées ?

Il n’y en a pas tant que ça, je ne suis pas si prolixe. J’ai des bouts de phrases, des trucs aux deux tiers complets… Il faut que le sujet en vaille la peine. Je n’écris pas de poésies d’humeur, je ne m’exprime pas. Les chansons qui ne sont pas écrites, c’est peut-être celles qui seraient autobiographiques. Un’ Ombre est un disque qui s’est un peu inscrit dans cette veine-là... Mais pour le reste, l’art autobiographique, je me le refuse. Toutes ces petites pensées un peu “blueseuses”, ou pas finies, elles partent à la poubelle avant même d’être mises dans un tiroir comme manuscrits non aboutis. C’est pour ça qu’on ne trouvera rien dans mes armoires : je ne laisse pas d’autres traces que celles que je trouve publiables. Je ne suis pas comme tous ces bavards de journalistes qui écrivent des articles toutes les semaines ! Je garde quand même mon grand amour pour le spoken word. Cette “ouïtérature”, comme me l’a soufflé un ami, à laquelle j’ai essayé de contribuer. Si on rapporte l’histoire de l’humanité à une journée, on a quand même attendu qu’il soit 23 heures avant de commencer à écrire. Vingt-trois heures qu’on a passées à se parler, à se chanter et à se conter les choses… L’écriture se croit toujours supérieure, elle ne devrait pas. Quand j’ai passé mes textes à la moulinette, je me suis d’ailleurs rendu compte que c’était bourré de fautes de syntaxe et de grammaire. Mais bon, je t’emmerde, hein ! Elles s’entendent pas quand on les chante. 
Ces fautes, elles font partie de ta façon d’aborder la langue : tu n’as jamais mis l’épée, la cape ni le bicorne des académiciens pour écrire une chanson… 
Quelqu’un comme Queneau, avec Exercices de style ou Bâtons, chiffres et lettres a aussi lutté contre cette discrimination artificielle qu’est le joli français écrit… Je n’ai rien à faire avec ce français moyen que personne ne parle. Je suis quand même assez révolté qu’on perde deux années de sa précieuse jeunesse à apprendre les exceptions imbéciles. Et puis on dit “J’t’aime pas”, et pas “Je ne t’aime pas” ; parce que, quand on aime pas, on veut être bref et on ne cause pas le joli français. On doit chanter des choses qui sonnent : pas des choses qui sont nécessairement autorisées grammaticalement. Ce qu’on chante et ce qu’on dit, ce n’est pas ce qu’on écrit : ça reste des mondes différents. Et puis on oublie aussi la francophonie, ces différents jargons, slangs et créoles qui enrichissent la langue, et qui font qu’elle ne se résume pas à celle qui est parlée par le mâle dominant à la Le fait que ta langue soit imprimée dans un livre, est-ce que ça lui donne une légitimité à tes yeux ?
Ah, ça la formalise un peu plus, oui… C’est quoi, déjà, la phrase que Chirac avait sorti un jour ? “Continuez à être tarés, ils finiront par s’y habituer” ? Bon, ça ne devait pas être exactement ces mots-là, mais c’était l’idée : tenir bon dans sa particularité. Le fait d’être gravé, imprimé, aide un peu. Je me souviens de m’être disputé à l’époque avec Jacques Martin, qui m’avait dit : “Apprends notre langue si tu veux la parler, au lieu de t’exprimer en baragouin”. Eh bien, moi, je parle et j’écris en baragouin. Je ne sais même pas ce que ça veut dire, mais je préfère ça au joli français de Jacques Martin dont on a quasiment tout oublié, blagues comprises, parce qu’il n’avait pas de style. Le joli français, c’est pas du style. Je pense que ma langue est plus libre que la grammaire et la syntaxe françaises. Quand elle est écrite, il faut peut-être simplement la lire à haute voix.
Même écrite, il lui faut donc une voix. 
Ben la tienne, oui, par exemple. En tout cas celle du lecteur. Elle a besoin de, comment dire… popularité. C’est quand même un joli mot, “popularité”, non ? Et puis une chanson peut être populaire sans qu’on en connaisse l’auteur. Mireille en est une, je crois, j’imagine que pas mal de gens la chantent sans savoir qu’elle est de moi. Et moi, je l’ai écrite parce que je l’ai entendue au café avant de l’écrire. Sauf que c’était une puce au lieu d’être une mouche. J’en ai fait une mouche parce que “le soir elle se couche”. Dans ce sens-là, je suis toujours dans cette idée de transmission folk, peuple, où chacun ajoute un couplet au grand répertoire. Que ce livre contribue à rendre ces textes un peu plus populaires, c’est un rêve. Oui, un rêve…

Finalement, tu as fait comme l’humanité, qui a attendu 23 heures pour se mettre à l’écriture : toi, tu as attendu 60 années pour t’y atteler…

Oui, voilà. Bientôt minuit, et merde… Mon père vient de mourir à 92 ans, ma mère est décédée à 86 ans. Allez, j’ai encore une vingtaine ou une trentaine d’années devant moi.
Richard ROBERT
Il n’aura échappé qu’à quelques esprits distraits ou excessivement préoccupés que le recueil Paroles (introduction d’Olivier Bailly, 232 pages, 23 euros) est édité par l’excellente maison Le Mot et le Reste.
Remerciements (en bon français poli) à Anne-Marie Dordor, Olivier Bailly et Deborah Mortali.
télévision…

Richard ROBERT
L'Oreille absolue mai 2011

- ANNEGARN JOUE AVEC SES MOTS

Monument de la chanson française, Dick Annegarn, qui vit entre Toulouse et Laffite-Toupière,publie l’intégrale de ses textes. Un superbe recueil qu’ouvre une passionnante biographie d’Olivier Bailly et qu’il présentera ce vendredi à la librairie Ombres blanches, accompagné du slammer Yassin Ben Moumene. Rencontre.
Pourquoi une ” intégrale ” ?
J’écris des chansons depuis que j’ai 22 ans, il était temps ! Les éditions Le Mot et Le Reste m’ont sollicité, et ça m’a plu, car c’est une collection rock, jazz, poétique… Je ne voulais pas d’une biographie complaisante. Ce sont des chansons que j’ai pensées et écrites avant de les chanter. Quand on lit les Rolling Stones, on est un peu déçu : ” I get no satisfaction ”, ça sonne mais à lire, c’est moins excitant. Quand je relis mes textes, je pense aujourd’hui que ça valait la peine d’être écrit. C’est une partition, il y a de la musique dans les mots. Je voulais voir le ” gris typographique ” : sur le papier, on voit que c’est construit, que ce n’est pas de la poésie libre, qu’il y a des contraintes. Et puis à 60 ans, il y a la joie de voir la somme, la variété...
On y trouve une écologie avant l’heure et des historiettes un peu tragiques…
Le mot écologie n’existait pas. Sinon oui, l’institutrice meurt dans son bain, la Mireille se fait écraser sur une table de bar… Regardez Rimbaud : joli garçon mais à l’intérieur, c’est parfois laid. Il disait : ” j’ai pris la beauté sur les genoux et l’ai insultée ”. Ces textes étaient des exercices de style. L’important c’est la rose ? Moi, j’écris ” Sacré Géranium ”, des fleurs qui sentent moins le parfum mais qui sont jolies aussi…
Quel rapport avait le jeune Néerlandais que vous étiez avec la littérature française ?
J’ai appris le français à l’école, à Bruxelles. J’ai découvert le romantisme et les divers courants français. En chanson, pour moi Brel, Ferré, Le Forestier, c’était de la littérature : je voulais écrire des chansons modernes. En fait, mes influences, c’était le ” small talk ” de Dylan et la prose de Kerouac…

LA DÉPÊCHE DU MIDI

Yves Gabay
LA DÉPÊCHE DU MIDI 10 juin 2011

- Paroles

« Au commencement était le verbe » pourrait tout aussi bien être l’introduction des Paroles de Dick Annegarn que le prologue de L’Évangile selon Saint Jean. Car c’est de l’oralité que la poésie lui est venue. « Et le verbe s’est fait chair » dans ce recueil de chants enfin offerts à la lecture.

Dick Annegarn écrit comme il parle et parle comme il écrit. Né aux Pays-Bas, il grandit à Bruxelles avant de déménager à Paris à l’âge de vingt ans. Autant dire que ce « Nolandais », comme il se qualifie lui-même, est polyglotte. C’est sans doute ça – on ne se risquera pas à écrire « cela » ; il a ce mot en horreur, comme tous ceux qui s’écrivent mais qui ne se disent pas,– le berceau de son amour invétéré pour la littérature orale. Il consacre d’ailleurs un titre à l’épopée de Gilgamesh, soit l’une des premières œuvres littéraires connues sur les péripéties d’un roi (peut-être légendaire) ayant vécu avant la création de l’écriture cunéiforme. Transmission orale, encore. 
Dans son dernier album, Folk Talk, il reprend des classiques du répertoire américain composés par des anonymes analphabètes. Un disque à prendre comme une déclaration ouverte à cet héritage transmis de bouches à oreilles. Pour Dick, une chanson, une phrase n’est bonne que si elle hante. S’il rêve d’une rime trouvée la veille, c’est gagné : elle sera gardée au réveil. Sinon, elle est bonne pour sombrer dans le Styx de l’oubli. C’est ainsi qu’il conçoit ses chants (car il n’aime pas parler de chansons, le concernant) : comme des moyens mnémotechniques. « Jeté dans ton jet mobile, Jeté comme John Glenn tu files » commence Bluesabelle. Peut-on imaginer phrasé plus sonore ?

Pourtant, toutes ces combinaisons musicales de vocables sont désormais couchées sur le papier. « Ça sent le sapin », réagit l’auteur à l’aube de ses soixante ans. Détrompe-toi, Dick, ça fleure plutôt bon le thym et le romarin. Il le dit lui-même en introduction : « les paroles et la musique ont chacune une vie et il y en a une troisième qui est la combinaison des deux, la chanson. Sauf que les paroles peuvent être lues (…) Ce n’est pas seulement de l’écriture automatique, c’est aussi des intentions qui vont mieux apparaître imprimées que chantées. » Et de fait : lire Dick Annegarn, c’est un plaisir presque enfantin, où l’on réapprendrait le verbe. 
A partir de là, Paroles s’appréhende comme un dictionnaire de néologismes, de mots-images qui n’existent pas mais qu’il faudrait inventer, tant la langue universelle de Dick Annegarn coule de source.

Nabbu

Marie Gallic
NABBU juin 2011

- DICK ANNEGARN COURT TOUJOURS...

*Aujourd’hui sous le soleil du sud-ouest,Dick Annegarn revient cet après-midi au Furet du Nord de Lille qu’il
fréquenta assidument pendant les 5 ans où il fut Wazemmois. Pour évoquer sa carrière…et chanter.*

Un livre bibliographique avec vos textes de chansons, un album qui remonte aux sources de votre inspiration:tout cela a un côté bilan un peu définitif, non? >>
Pas du tout. C’est vrai que j’approche les 60 ans. Je cours moins vite, mais je cours toujours.Les types qui remplissent les places en Égypte ou au Maroc sont plus jeunes que moi, mais aussi plus désespérés que moi. Moi, je suis en bonne santé, je chante un peu le blues le soir, bien sûr, mais je le chantais déjà quand j’étais jeune. Rassurez-
vous, je vais encore vous faire ch…longtemps!
On découvre que vos racines musicales viennent du blues. On les aurait crû françaises. >>
À Bruxelles, j’étais en contact avec ceux qui font du blues, du jazz. J’ai été élevé là-dedans : Dylan, Moody Waters, Miles Davis, John Mayall.
C’est la musique anglo-saxonne qui m’a nourri. Pour moi,le Gaulois, c’est de la musique ethnique!
Vous êtes arrivé à la chanson par hasard.Parce que vous aviez une année à tuer. >>
C’est exactement ça. J’avais 19 ans et j’avais entrepris des études d’agronomie dans un établissement catholique, ce qui n’était vraiment pas de mon goût.
Alors j’ai interrompu mes études pour passer une année à Paris. C’était 3 ans après mai 68. Je me demandais ce qu’il en restait, je voulais voir les hauts lieux de la
révolte. J’ai chanté dans les rues, puis j’ai atterri dans des clubs où on m’a un peu applaudi.
C’est là que vous avez rencontré Jacques Bedos. >>
C’était le directeur artistique de Maxime Le Forestier, de Serge Reggiani. J’ai chanté Bruxelles dans son bureau, et j’avais mon billet pour Bruxelles dans ma poche. Faire
un album ? Ricet Barrier me disait qu’il lui avait fallu 18 ans pour pouvoir en enregistrer un. Moi, ça ne m’intéressait pas du tout…
Finalement, cette chanson reste celle que le grand public connaît de vous. Alors qu’elle n’est absolument pas représentative du reste de votre œuvre… >>
C’était un exercice de style. Je voulais écrire « à la française».Il n’y avait pas de guitare, mais des violons. C’était un peu facile… Mais bon, je ne m’en tire pas si mal.
Parce que… >>
Parce que je suis le chanteur de Bruxelles et que j’aurais pu être celui d’Ubu comme Perret est le chanteur du Zizi. Rice tBarrier, encore lui, me disait qu’il aurait voulu
chanter des chansons sérieuses. Mais pour tous, il était uncomique. Et puis, Bruxelles me fait vivre aussi. C’est l’article qui se
vend le plus dans mon bazar!
En 1978, vous avez rompu avec le show-biz.Pendant une vingtaine d’années, vous avez donc chanté sans que ça se sache vraiment. Avec le recul,pensez-vous que vous avez fait
le bon choix ? >>
Bien sûr! Il ne faut jamais calmer les ardeurs de la jeunesse. C’est pas à 60ans qu’on va se révolter… Et la preuve, c’est que je survis alors que je ne suis pas sûr qu’on se souvienne de ceux qui étaient au hit-parade en 1978. Cette situation m’a fait progresser.
Et aujourd’hui ? >>
Ça va. Je viens de faire le Bataclan. 800 places. Mais dimanche dernier, j’ai aussi chanté dans un vide-grenier dans le quartier arabe de Toulouse. Je vais de l’un à l’autre, je
suis présent dans tous les aspects de mon métier. Pour autant,je ne suis pas intermittent du spectacle. Je n’arrive pas à faire le nombre d’heures obligatoire.Dans ma vie, j’ai dû être intermittent pendant 4 ans, c’est tout!
*Vous considérez-vous comme un chanteur engagé? Vous vous en défendez car vous trouvez les chansons engagées médiocres. Pourtant,
quand vous chantez « Frères? »... >>*
Je préfère être socialement engagé. J’ai créé Les Amis du verbe,avec des poètes, des paysans. Pour montrer qu’on peut être cultivateur et cultivé.
Vous avez aussi ouvert une épicerie solidaire dans les années 80. À une époque où ce n’était pas encore à la mode… >>
Mon épicerie était là aussi pour donner la parole à ceux auxquels on ne la donnait jamais. Pour moi,ça a vraiment été un apprentissage de la vie.Les artistes sont des handicapés sociaux. Combien connaissent le prix du beurre ? Moi, je le connais. C’est pour ça que je prends de la margarine…
Né aux Pays-Bas, vous avez longtemps vécu en Belgique.Que pensez-vous de la crise politique qu’elle traverse actuellement ? >>
Il pourrait y avoir un printemps belge. La population est bien plus intelligente que ses dirigeants. Cette situation est ridicule, grotesque,
inadaptée à la société moderne…
(...)

Pour consulter l’intégralité de l’interview : Nord éclair

Isabelle RAEPSAET
Nord Eclair 8 juin 2011

- DICK ANNEGARN SE LIVRE
On ne dira jamais assez de bien de Dick Annegarn, dont la voix d’ogre doux charrie depuis près de quarante ans des torrents de chansons sur le limon de la poésie. Elles existent sur papier, dans un recueil de 190 textes titré Paroles (éditions le mot et le reste), dont la beauté laisse sans voix. Brillante préface d’Olivier Bailly.
annegarn.free.fr
les Inrockuptibles 1er - 7 juin 2011

- EN GARDE, V'LA ANNEGARN

Ce vendredi soir à la Criée, samedi à L’histoire de l’œil et au festival Gravitations : le plus gascon des folkeux amstello-belges squatte Marseille pour fêter une belle anthologie. Interview.

Si les médias mainstream semblent depuis une paire d’années redécouvrir Dick Annegarn via un hommage collectif porté par M, Bashung ou Souchon en 2006 (Le grand dîner) et deux textes signés pour L’embellie de Calogero (son sublime Bruxelles a même été repris pas trop mal d’ailleurs par un candidat de X-Factor sur M6), l’immortel auteur du Père Ubu et de Bébé éléphant n’a, près de 40 ans après ses débuts, jamais cessé de donner des nouvelles à ses fans, qu’il soit à bord d’une péniche à Paris, dans une oasis marocaine ou auprès de Freddy Koella, imaginant un Soleil noir au milieu des tours new-yorkaises et faisant cracher sa Gibson à Los Angeles. Dans la Haute-Garonne pyrénéenne, du côté de Laffitte-Toupière où il est désormais un agriculteur cultivé, le « beur hollandais », homo sans œillères, féministe impénitent et troubadour « shouter », organise chaque année un Festival du verbe qui fourmille de stars bénévoles et de jeunes pousses bel et bien payées et s’emporte contre le « colonialisme culturel » d’un Marathon des mots organisé par Olivier Poivre d’Arvor. Annegarn est un coureur de fond, pas un marathonien et il attire en terre occitane les meilleurs –à l’instar du grand Christophe qui, redevenu Bevilacqua, s’attellera, en septembre, à donner sa vision du Décameron de Boccace.
Une renaissance salutaire, marquée cette année par une actualité débordante : après avoir livré un étonnant Folk talk, où il parvient à marquer de son empreinte des titres aussi cultes que Love me tender ou Georgia, la maison d’éditions marseillaise Le mot et le reste lui consacre une anthologie de plus de 180 textes, introduite par une pertinente et sensible- analyse d’Olivier Bailly.
Deux beaux objets qui lui valent un week-end marseillais marqué ce vendredi soir par la reprise, sur le plateau de la Criée, d’un « concert littéraire » créé pour le festival des Correspondances de Manosque, puis samedi, après une rencontre matinale à la librairie L’histoire de l’œil, par sa présence active au festival Gravitations organisé par le slammeur marseillais Frederic Nevchehirlian. Autant de bonnes raisons pour passer un coup de fil à « Benedictus Albertus »…

Toutes cette actualité, ces hommages, ces sollicitations, un an avant vos 60 ans, ça ressemble à un bilan, non ?
C’est vrai que ça sent un peu le sapin… (rire) Je n’aime pas trop le mot « bilan » en effet, parce que ça voudrait dire que je ne ferais que m’appuyer sur le passé, alors qu’au contraire je suis assez fier de continuer à être créatif dans une société où 2 quinquas sur 3 ne travaillent plus. Ma fierté, c’est que des jeunes artistes revendiquent le fait d’aimer ce que je fais, au point d’avoir envie de travailler avec moi ; après Calogéro, je travaille en ce moment avec Raphaël à qui j’avais offert le texte de Locomotive pour son album Pacific 231, et j’aime ça ; dans sa force et sa fragilité, il me fait un peu penser à Rimbaud. C’est vrai qu’il est beau, mais bon, je vous préviens, je ne suis pas Verlaine… (rires)
Pour résumer, ça me fait du bien de montrer que dans ma boutique, il n’y a pas que des vieux babs qui achètent du pain bio. Même si les slammeurs ont évidemment le droit de bouffer du pain bio…

Quels auteurs avez-vous choisi de mettre en valeur ce vendredi soir à la Criée ?
Dans ce projet, que j’ai partagé à l’origine avec la chorale « éphémère » Longio Maï, il y a ceux que j’aime, ceux qui ont traversé mes chansons : évidemment Rimbaud et ses Vers nouveaux, mais aussi le Hongrois Attila Jozsef, Nietzsche et son Homme de l’aube, le Corbeau d’Edgar Allan Poe, une lettre de Vincent à Théo Van Gogh… Il y a aussi des extraits de l’épopée sumérienne de Gilgamesh, un conte kurde, une pastorale qui s’appelle Voleur de chevaux… Attention, c’est pas une lecture, c’est triste une lecture, c’est prétentieux même ; je revendique le fait que ce soit un spectacle, même si je suis seul avec ma guitare, en tant que rhapsode, on se doit d’être, comment dire… « gesticulaire »…

Dans la partie interview de Paroles, vous avez cette belle phrase au sujet de vos multiples escapades loin des scènes et des studios d’enregistrement : « Ne pas être chanteur, ça me permet de mieux l’être. » C’est comme ça que vous résumeriez votre parcours, un peu comme un « négatif » photographique ?
C’est vrai que j’avance à reculons… Pour continuer dans la métaphore photographique, j’aime dire que, comme devant un appareil à chambre, il faut s’incliner devant le sujet pour mieux le saisir, regarder dans le viseur et baisser la tête. Sinon, on finit par « communiquer sur la communication » et au final on manque le sujet. Oui, j’ai été itinérant, commerçant le commerce, c’est un noble art, j’ai été dans le désert, j’ai été explorateur, femme de ménage, sans hiérarchie. Et c’est Rimbaud qui m’a guidé dans ces voyages inesthétiques…

On dit que vous êtes paysan aussi… C’est comme José Bové, ou vous l’êtes vraiment, vous ?
(rire) J’ai un tracteur, un vrai, bien pourri, je le conduis souvent, je girobroie. Bon, je ne roundeballe pas, mais à part ça, je laboure, je cultive, ça oui… tout ça est très cohérent, vous savez : les bluesman au départ, c’était des ouvriers agricoles et c’est pas pour rien que Dylan a écrit Maggie’s Farm. Ici, en Comminges, j’ai appris qu’on peut être cultivateur et cultivé. L’Occitanie est une terre de joutes, de poésie, de slam. Mais vous savez ça, à Marseille, du rap au Massilia sound system ; d’ailleurs ce week-end, je viens aussi pour « faire mon marché »…

Vous dites aussi vous être « dégagé » de la chanson « engagée » parce que « c’est pauvre poétiquement, nécessairement précaire, révocable et temporaire ». Pourtant vos textes, dédiés aux marginaux, aux libertaires, de pamphlets anti-show-biz en manifestes homosexuels, ne parlent pas vraiment d’amour naïf et de petits oiseaux…
Ce que j’entends par là, c’est qu’il y a une « culture de la dissidence » que je ne cultive pas ; Leforestier qui va chanter Le Déserteur pendant les grèves, c’est pas pour moi… disons que je me sens plus proche des pataphysiciens qui ont de l’humour que des curés rouges, ces personnages prétentieux et littéraires qui pensent parler pour le peuple mais que le peuple ignore. Je ne suis le représentant de personne et mon engagement est stylistique ; je me veux libre, pas libertaire, d’ailleurs j’ai jamais lu Bakounine ou Marx : à la fin du premier paragraphe, je coince…
Attention, même si, « biologiquement », je ne suis pas un homme de réseaux, j’ai des combats, pour la parité, le liberté, c’est essentiel dans ce monde de barbus et de Michel Sardou…

On vous a vu dans Mammuth en fossoyeur face à Depardieu. Le cinéma vous a de nouveau sollicité ?
Vous savez, ce film, c’était pour Delepine et Kervern je n’ai aucune culture cinématographique, je ne regarde jamais de films… En plus, le cinéma,… Quand on voit que Joey Starr joue les flics, on déchante ; on a envie de lui dire « hey Joe, t’as perdu tes crocs ?… »

Trois questions rituelles pour finir : votre dernier coup de cœur ?
Je viens de finir la bio de Monteverdi; je connaissais à peine, mais le théâtre du Châtelet m’a proposé de participer au Couronnement de Poppée ; moi qui ai toujours envie de porter Gilgamesh à la scène, y’a pire comme stage rémunéré ! Du coup je découvre un truc passionnant, ça me donne même des idées : là, j’aurais envie d’essayer un madrigal avec une banda du sud-ouest…

Votre dernier coup de blues ?
En écoutant Monteverdi, justement, il y a une mélancolie incroyable… Et puis ces histoires, Octavia qui n’a pas le droit d’avoir deux amants alors que César se permet tout. Quoi de plus ridicule que César, ces gars en qui il faudrait croire alors qu’ils sont minables…

César, Père Ubu, même chose ?
Des Pères Ubu dans l’actu, il y en a des tas, DSK le premier… Des enfants et des empereurs en même temps…

Votre dernier coup de sang ?
Le Monde me demande une tribune sur l’histoire de la littérature orale, que j’ai titrée Peuple parle, et dans laquelle, évidemment, je reviens sur ce qui m’oppose à Olivier Poivre d’Arvor. J’ai juste décliné ses initiales, OPA et visiblement ça coince dans certains tuyaux, puisque ça n’a toujours pas été publié…

La Marseillaise

Denis Bonneville
La Marseillaise 27 mai 2011

- DICK ANNEGARN INSPIRE PAR LES BELLES LETTRES
A la Criée, le chanteur voyage dans la littérature qu’il aime

Quand il vous parle, il est un peu ici, un peu ailleurs. Un peu comme dans la vie qu’il partage entre la France et le Maroc. " Je ne suis pas Français mais je chante en Français, dans une langue étrangère donc ", résume dans sa belle voix dure et profonde le Néerlandais Dick Annegarn.
Artiste ovni, chanteur inclassable, homme chaleureux et voyageur, Dick Annegarn occupe une place à part dans le monde de la chanson. " Je fais entre 40 et 50 concerts par an. Pas à Marseille où je ne suis pas désiré visiblement. J’adore venir chanter à Marseille mais, en règle générale, je vais plutôt en périphérie que dans les grandes capitales régionales. Les grandes villes ont peur de moi. " En périphérie du show biz aussi : " On a été quelques-uns à être davantage marginalisés que marginaux ", lance-t-il toujours entre vérité et plaisanterie.

Ce soir à la Criée, il donne un concert littéraire, une création concoctée pour les Correspondances de Manosque, jouée une fois à Paris. " Dites bien aux gens que je ne vais pas chanter Bruxelles, pour ceux qui s’attendraient à ça c’est raté. Ils seraient déçus s’ils n’étaient pas prévenus. " On s’écrie que c’est dommage. Il riposte : " C’est pas mademoiselle Âge tendre et tête de bois! Je demande l’autorisation de progresser. De faire autre chose. "
On la lui accorde pour se laisser entraîner, ce soir, dans un tour d’horizon de la littérature, de la poésie qu’il aime : " C’est une création dont le prétexte est des lettres. Il y a des chansons qui ont trait à la littérature, une lettre de Théo à son frère Van Gogh, j’ai mis en musique le poème L’Eternité de Rimbaud, je lis aussi dans sa dernière lettre, j’alterne chansons et des bouts de lecture même si je sais que la lecture est le degré zéro du spectacle. Mais je me lève, je joue de la guitare, je bouge. Je lis un texte en sumérien, en kurde pour la beauté des sons..."
Dick Annegarn dit qu’il travaille beaucoup, qu’il aime aller écrire au Maroc où, près de la mer, il n’a que des amis. Il raconte aussi qu’il travaille sur un projet d’album avec Raphaël qui lui avait demandé une chanson sur son précédent disque. Il martèle encore qu’il se méfie, se garde des "états majors économiques, politiques ou militaires qui sont tous méprisants avec le peuple et les artistes". Dick Annegarn n’a pas changé. Et ça c’est décidément une bonne nouvelle.
Olga Bibiloni
La Provence 27 mai 2011

- Paroles

Une couverture qui tire discrètement l’œil, qui donne envie de feuilleter. Une découverte qui surprend : les chansons sont classées par ordre alphabétique et non par album dans un ordre chronologique. Enfin un album photo présente l’artiste à divers moments de sa vie et certaines de ses relations. Ce recueil est une surprise. En effet c’est généralement réservé aux artistes défunts dont on peut proposer l’intégralité de l’œuvre. Est-ce à dire que Dick Annegarn n’écrira plus de chanson ? (on notera au passage que son dernier opus ne comporte que des reprises anglo-saxonnes).

Je crois pouvoir dire après lecture et vu le “ton” de cette “intégrale” qu’il m’étonnerait beaucoup que Dick Annegarn cesse de composer et d’écrire… A le lire et à plus forte raison en l’écoutant on sent qu’il n’a pas tari son imagination. Et aussi parce que le monde, je crois, lui offrira encore des sujets d’étonnements et de “révolte”. Pour ce qui est de sa musique elle est assez libre – non enfermée dans des modes ou des genres fixes – pour se renouveler.

Cinquante pages de présentation, une introduction d’Olivier Bailly illustrée de commentaires de Dick, donne des pistes de lecture et surtout expliquent, justifient le choix de présentation. En résumé : les textes de Dick ont évolué et sont susceptibles d’évoluer en fonction de leur passage sur scène…

Sachant que les lecteurs aiment bien confronter leurs étiquettes à celles des critiques je vais tâcher de vous situer Dick Annegarn que pour ma part je trouve “inclassable”. On peut comme le fait Olivier Bailly lui chercher du Rimbaud ou du Surréalisme (Desnos plus qu’Eluard) dans les vers, c’est vrai que Dick est très cultivé – ses chansons sont bourrées de références sous-jacentes – mais à cause de ses musiques je le rangerai dans une succession de Trenet à Gainsbourg en passant par Vian/Salvador pour lui donner comme famille Areski-Fontaine, Higelin et Souchon avec un cousinage chez Vassiliu et Béranger… et plus lointain Hubert-Félix Tiéfaine. En résumé il tranche par des textes décalés soutenus par des musiques inclassables. On aime ou pas mais il ne peut laisser indifférent.

Il va de soi que ce livre ne se lit pas d’une traite comme un roman. On l’ouvre au hasard, on lit trois chansons et on referme pour savourer… J’imagine que les nostalgiques iront d’abord regarder leurs classiques – pour moi, “Ubu” et “Mireille” – . Parce que je l’avais sous la main pendant ma lecture, j’ai écouté et lu “Un’ombre” où “Même en hiver” et surtout “Où es-tu Mohand?” ont retenu mon attention. J’ai trouvé “Ganaël” très “Nourritures terrestres” et je me suis laissé séduire par – dans le désordre – : “Françoise Parodie”, “L’institutrice”, “Boileau”, “Mal de dents”, “Le Saule” et “Trois petits cochons”...

Un livre à garder à portée de main. Parce que relire un texte de temps en temps peut être intéressant et surtout peut servir de baromètre personnel: est-ce que dans six mois, un an ma sélection ci-dessus sera la même ?

Bonne écoute.

Murmures

Noé Gaillard
Murmures juin 2011

- LA MATIERE DES MOTS : PAROLES

En réunissant les textes de ses chansons en un livre, Dick Annegarn confirme ce que l’on savait déjà : qu’il fait partie des grands paroliers de la chanson française. Même en étant isolés de sa voix et de ses instruments, ses textes demeurent extrêmement musicaux. Dick Annegarn aime la matérialité des mots, qu’il fait s’entrechoquer à loisir et qui dégringolent au fil de ses chansons comme autant de cailloux signifiants et sonores.

Chanson et poème

Le livre qui réunit désormais l’intégrale des textes de chanson de Dick Annegarn s’intitule Paroles. Et dans l’« Introduction » d’Olivier Bailly, qui s’apparente à une long entretien commenté, peut se lire cette déclaration du chanteur : « On confond trop la poésie et la littérature avec la chanson qui n’est pas une littérature, ou alors orale. La chanson pour moi devrait être dissociée [...]. » (...)

Pour consulter l’intégralité de l’article : Culture

Laurent Demoulin
Culture, journal de l'université de Liège mai 2011

- DICK ANNEGARN l'AMERICAIN

Un an après Soleil du soir, Dick Annegarn sort un disque de reprises de grands classiques du folk et blues intitulé Folk Talk. Un hommage très personnel à la culture populaire américaine, qui sonne comme un retour aux sources.
Saint James Infirmary Blues, Down In the Valley, Georgia on my Mind, Worried Man Blues, Ox Driver’s Song… Quatorze chansons qui composent une sorte de condensé de la culture folk et blues des États-Unis. Avec Folk Talk, Dick Annegarn, le plus français des Néerlandais se transporte dans une des sources majeures de la musique occidentale d’aujourd’hui en explorant à son tour le songbook inépuisable de la chanson populaire américaine. “Je chante la moitié de ces chansons depuis trente ou quarante ans sans texte, sans partition et même sans guitare. La transmission, le passage, l’oubli, ça m’intéresse vraiment. Que reste-t-il d’une chanson quand on l’a oubliée ?”

Il ne cache pas que l’idée d’enregistrer Folk Talk est venue du directeur de son label, Vincent Frèrebeau : “Il m’en parle depuis 1998 au moins. Quand je vais dîner chez lui et que je prends la guitare, je chante du folk et du blues. Ce sont plus mes sources que Georges Brassens. J’ai grandi avec Nina Simone, Bob Dylan, Woody Guthrie, Bukka White. Adolescent, j’ai vu John Lee Hooker et quelques autres au théâtre 140 à Bruxelles, à une époque où on voyait en Belgique plus d’artistes américains que de chanteurs français.” Et il rappelle que Bébé éléphant, un de ses premiers succès, à l’aube des années 70, lui a été inspiré par une chanson d’un Américain croisé à Bruxelles.

Il chante la tradition populaire mais aussi des œuvres de grands créateurs et interprètes comme Bob Dylan (Don’t Think Twice, It’s Alright) et Elvis Presley (Love Me Tender), avec toujours la même liberté dans l’approche des chansons et du chant. À propos de ces grands créateurs, il aime jouer sur les sens du mot vol : “Ils ont emprunté aux racines, mais ils ont aussi cherché un envol – ils ne se gênaient pas pour ajouter un couplet ou pour couper ici ou là. Dans House of the Rising Sun, mon interprétation est autant une signature que les paroles elles-mêmes – j’y ai mis des mélismes arabisants ou yiddish. J’ai du mal à chanter comme les originaux. C’est une réappropriation que je revendique. C’est aussi un disque pour voyager. Je ne voulais pas un disque de faux cowboy ou de faux Noir que je ne joue qu’en France. J’ai opté pour un petit côté wacky, cinglé, personnel.”

Un chanteur francophone

Et, de fait, on reconnait vraiment Dick Annegarn dans chacune des chansons de Folk Talk, même si l’instrumentation est strictement folk et le répertoire, profondément enraciné dans l’Amérique. Guitare acoustique, presque rien de percussions, deux choristes çà et là, et sa voix rocailleuse, vibrante, ductile, rugueuse et lyrique à la fois. “J’avais commencé à enregistrer à Saint-Rémy-de-Provence mais j’étais un peu ankylosé. Nous avons tout refait et tout fini à Los Angeles chez Freddy Koella. ‘Dès l’aérogare, j’ai senti le choc’ (il cite Nougayork, de Claude Nougaro) : là-bas, le drive, le swing, l’accent tonique, la niaque, rien n’est pareil. Et nous pouvions avoir pour les chœurs des chanteuses de la Nouvelle-Orléans, qui m’ont franchement envouté.” Pour la tournée, il va partir avec deux choristes antillaises. “Pendant des années, mes musiciens étaient gascons. Ça va changer d’ambiance, ce côté créole des filles de l’Amérique centrale…”

Il aime que les textes de ces chansons américaines soient parfois d’une simplicité troublante : “Il y a des ondes de signification, des sens cachés qui s’entendent entre les mots. Il n’y a pas de dictionnaire pour ces chansons. Il faut en donner une signification, qui n’est pas forcément universelle. Notre folk n’est pas américain. Il est mondialiste, obamiste. De toute façon, même nos compositeurs européens sont des voleurs : Bartok et Varèse ont pris des mélodies chez les illettrés. Ici, j’honore une infime partie de nos racines. Il y a des circulations incroyables dans la musique. Je me souviens avoir chanté Le Roi Renaud à mes amis berbères au Maroc ; il leur semblait que c’était une chanson de chez eux.” Les racines ? Quant à lui, il va aussi publier, le 19 mai, un recueil de ses textes de chansons, Paroles (éd. Le Mot et le Reste), “ce qui confirme que je suis toujours un chanteur francophone”.

RFI musique

RFI Musique février 2011
Réalisation : William Dodé - www.flibuste.net - Mentions légales