Parution : 22/08/2013
ISBN : 9782360540952
176 pages (148 x 210)

16.00 €

La Vallée seule

EXTRAIT

Un bouvreuil pivoine s’égosillait sur la branche d’un pin noir envahi par le mycélium. Le cerf fit son apparition, la résine du conifère embaumait l’air sur son passage et son sentiment s’en imprégnait. Il se frotta contre le tronc, ce qui interrompit tout net le petit passereau. [...] Même si la prudence restait de mise, alors que les loups se comportaient juste en prédateurs occasionnels, des opportunistes sur un territoire : les cervidés, eux, étaient la pulsation animale de cette vallée.

Tout commence aux premières heures de l’hiver, quand la vallée revêt son manteau de neige, cristallisant les formes, les sons et la vie elle-même. Ici, rien ne se décide sans l’accord tacite de la Nature qui impose, non sans magie, ses règles et ses caprices. Dans ce décor, souvenir d’un monde désormais abandonné à la modernité, des histoires et des vies se font et se défont au rythme des saisons. Tous les personnages sont intimement liés au milieu qui les entoure, comme au vieux cerf, animal mythique symbolisant la relation que chacun entretient avec la vallée. En mêlant une description précise et immersive de la nature et une poésie fantasmagorique, André Bucher entraîne le lecteur dans un lieu où réalité et rêverie semblent constamment cohabiter.

Revue de presse

- Un vieux cerf Benoît Pupier Parutions.com 29 novembre 2013
- André Bucher, écrivain dans la vallée, seul (2/2) Alexandre Héraud France Inter // Il existe un endroit 26 novembre 2014
- André Bucher, écrivain-bûcheron (entre autres) à Montfroc, Drôme (1/2) Alexandre Héraud France Inter // Il existe un endroit 05 novembre 2014
- André Bucher a apporté un souffle d'air pur M.NP La Provence 03 avril 2014
- La Vallée seule Alain Veinstein France Culture // Du jour au lendemain 26 novembre 2013
- Un temps de neige Dominique À sauts et à gambades 10 septembre 2013
- L'écrivain-paysan dédicace La Tribune 29 août 2013
- "La Vallée seule", septième roman d'André Bucher Le Dauphiné 20 août 2013
- "La Vallée seule": écoutez ce que dit le vieux cerf Justine Minet La Tribune 29 août 2013

- Un vieux cerf

«Comme une onde qui s’élève, il s’engouffra par le couloir de la déverse, là où elle n’était pas encore prise puis il ressentit l’eau rouler, un faisceau de nerfs irriguant la terre tels des fils conducteurs liés entre ses jambes». Un animal hante cette vallée seule. Un vieux cerf. Il ouvre et clôture chaque chapitre. Pas d’anthropomorphisme, la description se fait comportementale. «Un cerf, avec le temps, apprend à reconnaître la différence dans cette scansion muette du danger». Les personnages, présentés par ordre d’apparition avant le début de l’histoire, se confrontent au vieux cerf qui se cache. Bête traquée, doux complice des songes, il surgit et disparaît. Au fil des saisons, enfants, femmes, hommes et bêtes cohabitent dans ce «pays de travers», dans une nature rude et vive dont il faut aller chercher la beauté avec courage. L’écriture enroule et déplie un monde de sensations, joue des confusions organiques. «A l’image du reflux et déclin de la sève, le peu de sang, d’oxygène qui restait, se mit à circuler sous les manteaux et les toits tel un long poème à l’index».

Le roman est dédié «à toutes les vallées perdues et aux rares, précieux individus qui les peuplent». Ici pas de noms de lieux comme dans les romans précédents. La Vallée seule est une parabole. Pour certains personnages «il suffirait d’un rien (…quelque chose comme une crise économique…) pour que l’exode vers cette vallée devienne envisageable». Pas un folklore du retour à la terre, mais le sentiment que ce pourrait être un lieu ouvert pour prendre soin les uns des autres. Un peu plus qu’ailleurs ? Même si la terreur n’est pas loin. «Il suffisait d’arrêter son regard sur les cimes brandissant leurs bras nus, tailladés par les cols». Une phrase et son image suffisent, dans la description d’un paysage, pour laisser affleurer la tension d’un affect.

Martine avait fugué dans Déneiger le ciel (Sabine Wespieser, 2007). Elle est de retour. «La vallée seule l’avait recueillie (...)». Elle a rencontré Mario, comédien, sculpteur sur bois. Il a installé dans le parc un totem, un double imaginaire du vieux cerf, comme pour le protéger de la traque des chasseurs et troubler le petit monde de la forêt ! Martine et Mario construisent un petit théâtre ambulant, avec des marionnettes à animer. Raoul le cafetier réclame une révolution, tout en bataillant pour ne pas trop se disputer avec lui-même. Le vieux cerf aussi aura affaire à son ombre. Raoul picole à l’occasion avec Georges le médecin. Pierre et Judith, éleveurs, habitent à côté du chalet de Gisèle, institutrice retraitée. Alain, le guide de chasse, est pris au piège. Habitant de la vallée, il gagne sa vie en indiquant les places et en procurant du gibier à une clientèle extérieure. «Qu’espérait-il ? vieillir à son tour, suffisamment aigri pour feindre d’ignorer le temps du rachat ?». La légende du vieux cerf invincible est une aubaine pour lui. Il tente de dénouer son conflit intérieur entre terre et ciel. «Les cœurs verrouillés ne connaissent pas les espaces sensibles où l’on peut surprendre et déjouer les ruses d’un cerf». La description des paysages est peinture des sentiments. «Il suivit une ligne de faille, profonde et étroite cassure (…). De longues traînées se détachaient, esquifs à la dérive de bruine, d’éther et d’eau».

Dans ce récit minimaliste à fleur de peau, chacun réévalue ses actes face à la présence du vieux cerf. La vallée seule, espace réel – expérience de soi. Gisèle, malade, rêve de l’animal. Pour Martha et Ludovic, les enfants, la nature est confrontation à la violence ou à l’enchantement. Petits compagnons de route d’un écrivain qui aime à retrouver l’enfance de la langue, la formulation imagée du sens populaire. Martha à propos d’un petit chiot : «(…) on dirait un bonzaï d’ours». Pour Mario le sculpteur marionnettiste et Damien le peintre, le rapport au monde est une distanciation créatrice face aux cicatrices intérieures, une hypersensibilité mise en forme avant d’être offerte aux autres. Pour Alain, le guide de chasse, l’expérience physique de la marche est interrogation solitaire. La destruction, la compromission, jusqu’où ? Pour beaucoup le souffle du vieux cerf est élan vital, pour trouver des gestes d’amitié ou d’amour.

La maladie, la mort, un air de fête, un mariage en plein air, une protestation, le songe d’un spectacle sur l’eau, la baliverne d’une osmose du chasseur et de l’animal… Politesse de la douleur – une ellipse sèche évacue le pathos –, douceur ombragée, l’écriture s’acclimate d’une inquiétude, d’un éclat de rire qui traverse le silence, la solitude et la peur. Poétique de l’espace. Topographie de l’intime. Une ribambelle d’expressions colorées, petites fusées surréalistes, accompagne l’évocation de la météo, de l’humeur du temps, du passage des saisons. «Au réveil, le ciel à jeun attend le soleil pour sa prise de sang. Le jour arrive en retard, avec son aplomb ordinaire il tutoie la lumière et se mêle de tout». Ailleurs, ce sera le récit lui-même qui vivra une échappée belle surréaliste, tragi-comique. Même les morts n’échappent pas aux caprices des intempéries. La littérature est un jeu, et l’écrivain, venu de la poésie, dessoude signifiant et signifié pour de joyeux ré-assemblages. Les paysages, la lumière, les éléments naturels ont leur caractère. «Le suroît venu du sud trépignait, sanglé dans l’étau des fayards». L’air, l’eau, la terre, le feu, réminiscences archaïques et païennes.

Ce travail littéraire formel, musical, inventif n’est pas hors sol. Sans vie réelle pas de songes. La réalité du cerf est détaillée : les bois dont il se déleste, le brame, la femelle qu’il croise, la nourriture à chercher, les pistes brouillées pour échapper à la traque. Le vocabulaire est concret. Chasse : «reposée», «gagnage», «il entendit raire»... Géologie : «gabion de roche», «lapié de craie blanche parsemé de carex et de santoline», «cairn», «aquifères souterrains»... Forêt : «émonder les saules», «cépées»... Botanique, flore : «passicaut», «saxifrages», «lis martagon», «laîches»... Ornithologie : «gypaète casseur d’os», «outardes», «freux», «monticole-bleu»... Un bestiaire traverse notre histoire : héron, martin-pêcheur, sangliers, biches, aigle, chevreuils, lièvres, lapins blancs, crapaud, vieille chouette, tortue, noctuelles… Le récit est un organisme vivant, les frontières se brouillent entre observations scientifiques et mondes imaginaires. Une pulsation. C’est Simon le bûcheron, lanceur de javelot, tel un «guerrier démuni», dans une danse nocturne. C’est le présent de narration pour une proximité des personnages. C’est un saule qui pleure «à la façon d’une effraie à face blanche». Ce sont des jeux syntaxiques pour accrocher le lecteur par un rythme nouveau. «Je reviendrais, elle promit». C’est le choix plus littéraire de l’adjectif ’‘tel’’ dans la construction des comparaisons plutôt que l’adverbe ’‘comme’’. «Tel un guetteur mélancolique, le cygne noir lui confirme que la voie est libre». Un jeu littéraire sur les registres de langue comme des couches géologiques qui affleurent, se mélangent, divergent. C’est la fête improvisée des enfants chez Gisèle le samedi soir. Gisèle, tentée de séduire Raoul, «ce vieux veuf désenchanté».

Vie réelle des grands espaces, parabole autour de la figure d’un vieux cerf confronté à son ombre dans un royaume intermédiaire, entre terre et ciel. Bruissements des vies fragiles et silencieuses. Hypersensibilité de l’animal.

Lire la chronique sur Parutions.com

Benoît Pupier
Parutions.com 29 novembre 2013

- André Bucher, écrivain dans la vallée, seul (2/2)

Deuxième volet : l’écrivain des grands espaces

Le 5 novembre dernier, vous avez entendu l’ancien beatnik, le berger, le bûcheron et surtout l’agriculteur pionnier du bio. Depuis 2007 et sa retraite officielle, s’il continue d’épauler son fils sur l’exploitation, André Bucher se consacre presque exclusivement à l’écriture.

Du haut de ses 1200 mètres d’altitude, dans sa ferme retapée, il décrit ses contemporains et nous offre l’une des voix les plus singulières de la littérature actuelle. André Bucher, qui publia l’an passé La Vallée seule , son sixième roman, est le chef de file dans l’hexagone de ce genre littéraire né aux Etats Unis, le nature writing , mêlant observation de la nature et considérations autobiographiques. Nous vous proposons donc ce soir de découvrir l’écrivain, le romancier et le poète – bien éloigné des circuits du petit monde de l’édition germanopratin. Le soir au coin du feu, au petit matin sur la table du petit-déjeuner, chez ses amis de la vallée, nous partageons ses réflexions sur le métier d’écrivain et sa définition de l’écriture. A nos côtés, plane l’ombre du vieux cerf hantant son dernier roman.

Écouter la seconde partie d’Il existe un endroit

Alexandre Héraud
France Inter // Il existe un endroit 26 novembre 2014

- André Bucher, écrivain-bûcheron (entre autres) à Montfroc, Drôme (1/2)

Premier volet : le pionnier du bio

Depuis 40 ans, André Bucher, l’ancien beatnik qui fut docker, berger et surtout agriculteur pionnier du bio et bûcheron, vit dans la vallée du Jabron, dans la ferme retapée du dernier hameau du petit village de Montfroc, à 1200 mètres d’altitude, face aux paysages splendides et déserts des Alpes de Haute-Provence. C’est dans cet endroit, isolé, qu’il décrit ses contemporains et nous offre l’une des voix les plus singulières de la littérature actuelle. Il est celui qu’on baptise « l’écrivain des grands espaces ». Mais attention, Bucher ne déteste rien de plus que les mises en étiquettes…

Dans ce premier volet de notre rencontre, il nous ouvre les portes de sa ferme et évoque au volant de son increvable pick-up – allié imparable pour gravir les plus escarpés des 200 hectares de son exploitation – ce que fut cette aventure commencée en communauté en 1974. Il parle de sa propre version de la “sobriété heureuse”, selon la formule de son ami Pierre Rabhi, et de la décision de son fils Lionel de reprendre la ferme et de continuer son œuvre.

À suivre, le 26 novembre prochain, la seconde partie de ce portrait autour du travail d’écrivain d’André Bucher.

Réécouter le voyage d’Alexandre Héraud sur les terres d’André Bucher

Alexandre Héraud
France Inter // Il existe un endroit 05 novembre 2014

- André Bucher a apporté un souffle d'air pur

C’est un personnage hors du commun que Jacky Michel, président des Amis de Lucien Jacques, avait choisi d’inviter à la Terrasse des marronniers, au premier café littéraire et artistique de la saison: André Bucher.

Suite de l’article

M.NP
La Provence 03 avril 2014

- La Vallée seule
André Bucher et Alain Veinstein s’entretiennent autour de la poésie, de la nautre, de La Vallée seule. À réécouter ICI
Alain Veinstein
France Culture // Du jour au lendemain 26 novembre 2013

- Un temps de neige
Une belle chronique tout en images sur ce blog.
Dominique
À sauts et à gambades 10 septembre 2013

- L'écrivain-paysan dédicace

Samedi 24 août, l’écrivain-paysan André Bucher est venu, à la librairie de l’Olivier, présenter son dernier roman La Vallée seule. Pionnier de l’agriculture bio en France, son écriture mêle célébration sauvage et étude psychologique. Dans ce nouveau roman, pour la première fois les lieux ne sont pas systématiquement reconnaissables, c’est un hommage à toutes les vallées perdues et aux habitants qui les peuplent, une parabole universelle vers laquelle ce livre tend.
L’attention première apparaît sous la forme d’un animal mythique, le cerf. Les gens gravitent autour de l’animal, on le chasse et on le protège. Comme dans une vallée idéale ou l’on prend soin les uns des autres, avec une magie délicate qui donne envie d’y vivre. Le cerf est le lien organique entre toutes les personnes de la vallée. C’est un hymne à la liberté et un appel à résister pour tout un chacun.

La Tribune 29 août 2013

- "La Vallée seule", septième roman d'André Bucher

Écrivain paysan des montagnes du sud de la Drôme, militant bio de la première heure (il est le fondateur de la célèbre foire bio de Montfroc) et pionnier d’un art de vivre alternatif, André Bucher est aussi devenu l’une des voix les plus singulières de la littérature française contemporaine.
À 67 ans, après avoir pris sa retraite d’agriculteur, il poursuit une carrière d’écrivain en publiant aujourd’hui aux éditions Le mot et le reste, un septième roman, La Vallée seule.
Une fois de plus, André Bucher entraîne le lecteur au cœur de la nature grandiose de ces Préalpes de Haute-Provence, de cette vallée du Jabron qu’il connaît si bien et qui compte, selon lui, aujourd’hui “plus d’individus que d’habitants”. Dans ce décor sauvage, souvenir d’un monde désormais abandonné à la modernité, des histoires et des vies se font et se défont aux rythmes des saisons.

Réalité et rêverie cohabitent constamment
Tous les personnages sont intimement liés au milieu qui les entoure, comme le vieux cerf, animal mythique symbolisant la relation que chacun entretient avec la vallée. Avec sa langue rocailleuse et sonore, l’auteur mêle une description précise de la nature et une poésie fantasmagorique, entraînant le lecteur dans un lieu où réalité et rêverie semblent constamment cohabiter.
La Vallée seule, le dernier roman d’André Bucher est finalement à la fois un hymne aux grands espaces et une parabole de toutes les solitudes.

Le Dauphiné 20 août 2013

- "La Vallée seule": écoutez ce que dit le vieux cerf

Jeudi 22 août sortait le dernier opus d’André Bucher, La Vallée seule. Celui qu’on décrit comme l’écrivain-paysan, basé à Montfroc, se distingue par une écriture impressionniste, un brin rêveuse mais surtout très poétique. Rencontre avec l’auteur qui, par le biais de l’animal, nous en dit un peu plus sur l’humain…

Pour commencer André Bucher, pourquoi ce personnage à part entière du vieux cerf ?
À défaut d’ours, je voulais un animal insaisissable, qu’il est difficile de voir. En tant que paysan, je vis beaucoup dehors, dans la nature. Des biches, on peut en apercevoir, des fois, vers les 5h du matin, au-dessus de ma ferme. Mais pour les cerfs, je monte en haut de la montagne pour les écouter lors du brame et essayer de les voir… Je voulais aussi un animal traqué. Je ne fais pas un discours anti-chasse : l’idée, c’est que les personnages s’agrègent et se déterminent autour de lui.

Et vous, comment vous vous positionnez par rapport à la chasse ?
Je suis un peu comme le personnage d’Alain. Je vis au milieu des animaux, et je sais ce que c’est que la réalité. Si mes univers ont quelque chose de magique, ils sont ancrés dans le réalisme. Je suis paysan, et des fois, on abat un sanglier. dans un frigo, ce n’est pas inutile. Mes personnages sont plein de bon sens, mais ce ne sont surtout pas des viandards ou des braconniers. Comme je le dis dans le livre : “on ne repousse pas un abus en supprimant une liberté”.

Ce cerf, il est vieux comme le monde. Une allégorie de la nature ?
Une représentation de la nature, oui, sans doute. Et puis la représentation que l’être humain en a : comment il se l’approprie, comment il la déforme. Par ailleurs, il y a aussi cette thématique de la vieillesse qui traverse mon roman avec deux personnes en fin de vie qui vont agir différemment : l’une va mettre fin à ses jours, l’autre qui lutte. Pour moi, être humain ou animal n’empêche pas de voir comment la vie se déroule autour de nous. Ce cerf, je ne voulais pas lui prêter des éléments humains, ne pas faire d’anthropomorphisme. J’ai opté pour approche plus comportementale, avec un procédé d’écriture lui faisant ouvrir et fermer chaque chapitre.

Dans une nature idéale…
Pour une fois, je ne voulais pas nommer les lieux, ne pas situer pour créer une sorte de parabole universelle : c’est un hommage à toutes les vallées perdues et aux gens qui les peuplent. Ceux qui connaissent la Drôme reconnaîtront par contre…

Ce que j’apprécie dans vos écrits, c’est la nuance dans le positionnement des personnages… C’est important ?
Les gens ne sont pas tranchés, ils sont saisis dans leur complexité. Je décris une vallée où on aimerait vivre, une vallée où il y a de la délicatesse, où on prendrait soin des autres…

Où on accepte les idées de l’autre, même si elles ne sont pas les nôtres…
Ce n’est pas parce qu’on se confronte qu’on a tout perdu. On ne peut pas toujours être pour ou contre. C’est souvent par peur que l’on n’accepte pas les critiques, peur de baisser dans l’estime de l’autre. Mais c’est infantile et idiot. Je trace des routes, j’essaye de montrer que c’est possible : je n’écris pas pour divertir, mais pour améliorer la vie. Mon but, c’est de déboulonner ce qui est convenu, caricatural. Comme le personnage
que je construis en pointillé, avec ses zones d’ombres, ses fractures. Je travaille en profondeur, au risque de ne pas être trop populaire. Mais moi, je m’en fous…

Au final, il reste une impression de tristesse, de mélancolie à la lecture du livre…
La mélancolie, c’est toute la vie. On ne sait plus si on a chaud, si on a froid, si on est triste, si on est gai. Dans la vie, on peut changer d’émotion en 3 minutes, et parfois moins. Il y a des moments de bascule, et je travaille l’émotion au corps. Pour moi, ce livre, c’est aussi l’expression d’une certaine radicalité : dans l’approche de la fin de vie ; mais aussi une radicalité sociale. On se dit que ça pourrait exister, des gens qui ont une
réalité psychologiques et affectives…

C’est-à-dire ?
Je ne fais pas une opposition ville/campagne, mais une opposition de modes de vie différents. Ces gens, on sent bien que l’hôpital, c’est pas leur tasse de thé. Leur mode de vie ne repose pas sur la voiture, sur le portable, sur l’argent… Dans la montagne, quand le portable ne passe pas, on a d’autres moyens de communication : on tend l’oreille, et c’est quand on entend la tronçonneuse du voisin en train de faire son bois qu’on sait que tout va bien ! Ce que je veux dire, c’est “regardez ce qui est bon pour vous, saisissez-vous de la modernité si elle vous sert vraiment”. Je ne juge jamais dans mes livres, je n’écris pas de sentences : il y en a déjà bien assez. Je préfère faire plutôt un boulot en amont, montrer la beauté d’un univers tellement peuplé que, si on l’oppose à notre vie, en sorte la différence. C’est là qu’est la radicalité…

Critique

Un animal et des hommes…
Il est là. Il observe. Il vit sa vie, seul, vieux, mais justement pas né de la dernière pluie. Les habitants de la vallée, il les connaît maintenant : animaux, végétaux… et puis ces hommes qui le cherchent. Le vieux cerf ! C’est qu’il en attire des convoitises, des fantasmes, des rêves… Et pourtant, il ne fait souvent que passer. Furtif. Mais dans la vallée, sa présence est remarquée.
Pire, elle divise. Il y a Alain, reconverti en guide de chasse, souvent dépassé par ses clients. Les braconniers, ceux qui ne font pas dans le sentiment. Martine et Mario, le jeune couple d’artistes qui a fait du vieux cerf
son animal totem. Gisèle, qui se bat contre la maladie, protégée par le souffle de l’animal sur sa fenêtre. Raoul le cafetier, qui a toujours un mot à dire. Et puis Damien, le peintre poète et sa rêveuse de fille Martha ; Simon le bûcheron ; Marie l’institutrice et bien d’autres encore qui forment ce microcosme qu’est cette “Vallée seule”…
André Bucher nous avait habitués avec Fée d’hiver à cet univers poétique et bucolique qui est le sien. Amoureux de la nature et de l’humain (dans ce qu’il a de meilleur surtout), son écriture est un hommage à la beauté qui est en toute chose, approchée dans une succession de tableaux souvent imagés. “Je fais de l’impressionnisme, confie l’auteur. Je travaille en petites touches, c’est de la broderie”. Ce style bien à lui, il séduit ou il perd. Accrochez-vous ! D’ailleurs, André Bucher le sait bien : il l’entretient. “Il faut lire attentivement, rentrer dedans : si on ne fait pas gaffe, on peut passer à côté de choses… Mais pour blaguer, je dis que ça se mérite. On demande au lecteur de mouiller la chemise. Nous aussi on a transpiré ! Ce livre de 180 pages, c’est 2 ans et demi de boulot, 500 pages de notes et 4 réécritures”.
Le résultat n’est certes pas “facile”, mais tellement évident.
Une vraie bulle de respiration dans cette rentrée littéraire…

Justine Minet
La Tribune 29 août 2013
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