EXTRAIT
Les Pygmées, une des cultures les plus « primitives », ne produisent pas ni ne consomment leur musique, mais deviennent en masse « la voix de la forêt ». À l’autre bout de l’échelle, parmi des sociétés agraires complexes, telle Bali à l’orée du xxe siècle,« tout le monde est un artiste » (en 1980 un mystique javanais m’a dit « Tout le monde doit être un artiste ! »).
Les buts de l’immédiatisme se trouvent quelque part le long de la trajectoire dessinée grossièrement par ces trois points (les Pygmées, les Indiens des Plaines, les Balinais), qui ont tous eu un lien avec le concept anthropologique de « chamanisme démocratique ». Les actes créatifs, eux-mêmes les résultats extérieurs de l’intériorité de l’imagination, ne passent pas par la médiation et ne sont pas aliénés (dans le sens où nous employons ces termes) quand ils sont réalisés par tout le monde pour tout le monde – quand ils sont produits mais pas reproduits – quand ils sont partagés mais pas fétichisés. Bien entendu, ces actes sont accomplis à travers une médiation d’un certain genre et dans une certaine mesure, comme le sont tous les actes – mais ils ne sont pas encore devenus les forces de l’aliénation extrême entre un expert / prêtre / producteur d’une part et un pauvre «profane» ou consommateur d’autre part.
Les Sermons radiophoniques (1992) forment un ensemble de onze textes dans lesquels l’auteur développe une théorie de pratique artistique appelée “immédiatisme”. Dans la lignée de Dada et du situationnisme, l’immédiatisme se conçoit comme un mouvement basé sur la notion de jeu. En effet, dans nos sociétés high-tech où le capitalisme tardif nous pousse de plus en plus loin dans des formes extrêmes de médiation et donc d’aliénation, où le fossé entre la production et la consommation de l’art ne cesse de s’élargir, l’art véritable ne peut se concevoir que sous la forme d’un jeu car le jeu est la plus immédiate des expériences.
Dès lors potlatch, terrorisme poétique et nomadisme forment des manifestations logiques de l’immédiatisme qui permettent de libérer et de partager l’imagination.
Revue de presse
Petit panorama gredin des parutions récentes les plus chouettement fouteuses de merde.
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Et puis avec Sermons radiophoniques (Le Mot et le Reste), un pot-pourri de chroniques new-yorkaises acérées de Hakim Bey complétant avec piquant ses appels à la création de zones autonomes temporaires “où l’anarchie est véritablement vécue dans l’instant présent, et pendant un moment donné, avant de disparaître tout aussi rapidement.”
Il est assez étrange que personne n’ait relevé (tout du moins à ma connaissance) que l’inventeur de l’éperonnant concept des zones autonomes temporaires ou TAZ, Hakim Bey, travaillait sacrément du citron. Ses écrits pamphlétaires couillus, godillant souvent en même temps que l’ésotérisme, la linguistique, l’anthropologie, la gastrosophie, la polémologie, le soufisme et l’anarcho-situationnisme prennent souvent de drôles de chemins, tour à tour phosphorescents et opaques, éclairants et biscornus. En atteste la toute récente traduction de son Millénium de 1996 (éditions le Mot et le Reste comme l’an dernier de ses Sermons radiophoniques) par l’énigmatique Fleur Ramette.
Puisque l’ennemi aujourd’hui, nous dit-il, est moins l’État ni même le Spectacle selon Debord que le Capital libéré de la politique, des religions et des frontières, il y a lieu de se livrer contre lui à un nouveau style de “propagande par le fait”: le Jihad. Ne plus s’en tenir, pour notre émancipation immédiate, à la création de TAZ, mais tendre à une sorte de “zone autonome permanente”, raccordant entre eux des groupes de combat et des expériences alternatives, qu’on pourrait identifier au “millénium”. Autrement dit, à la révolution libertaire en marche menée par des “millions de travailleurs, de fermiers, de peuples tribaux, de marginaux, d’artistes de toutes classes, d’hérétiques et même de commerçants et de professionnels petits-bourgeois”. Hakim Bey précise qu’il voit le nouveau monde comme l’avènement du “fédéralisme néo-proudhonien” garantissant la liberté totale à “chaque point d’organisation dans le rhizome, aussi petit soit-il – même pour un seul individu, ou un tout petit groupe de sécessionnistes.”
On accompagne de bon cœur Hakim Bey dans ses exultations, d’autant mieux qu’il a l’art, assez cocasse à vrai dire, d’éviter les chausse-trappes de justesse. Parfois d’extrême justesse : Bey ose nous sortir, par exemple, que le “millénium”, auquel les rebelles aspirent, c’est… la venue du messie. Mais il ajoute aussitôt que le messie, pour lui, est une collectivité en lutte dans laquelle chaque individualité peut se réaliser dans sa différence et avec ses propres modes de résistance au système.
On attend les dernières observations d’Hakim Bey avec curiosité. Éditeurs et traducteurs, à l’attaque ! Il nous brûle de savoir comment le gaillard perçoit le soulèvement d’Oaxaca, les canulars des Yes Men, les colères des Indignés ou les frasques de Black Blocks se réclamant de lui.
Guillaume Kosmicki, musicologue, était déjà intervenu dans L’Atelier du Son, pour donner quelques repères au sujet d’Hakim Bey, des Zones autonomes temporaires et de ses “Sermons radiophoniques”. Quelques minutes seulement. On s’était promis de le réinviter, en prenant plus de temps, pour revenir sur la somme qu’il a fait paraître il y a quelque temps et qui est sur le point d’être rééditée : Musiques électroniques, des avant-gardes aux dance floors (éd. Le Mot et le Reste). C’est ce qu’on fait – enfin – ce soir.
La clarté, voilà la vertu de ce livre. En questionnant l’effet de l’impulsion électrique entrée dans le champ du sonore, Guillaume Kosmicki établit des passerelles (entre les genres, entre les individus et entre les périodes) et donne à voir la marche de la création sonore et musicale au XXe siècle. Un des mouvements du livre est de montrer comment la part de l’expérience et de la recherche glisse progressivement vers l’expression musicale populaire. Et que de Varèse au sample hip-hop, il y a des liens. Que de Dada au drone, on peut tracer une ligne. Que Fluxus et Kraftwerk ne sont pas si éloignés.
Bien sûr, Guillaume Kosmicki ne fait pas l’impasse sur les traces de l’époque dans l’expression sonore et musicale : effets de ruptures, de provocation, introduction du bruit du monde dans les partitions… Pour arriver à la période actuelle, marquée par les reprises, les croisements, les hybridations, le partage, la fête. Jusqu’à aujourd’hui, où il annonce que nous sommes ”à une période charnière” : “le calme avant la tempête”.
Ce soir, nous vous proposons une bande originale possible de “Musiques électroniques, des avant-gardes aux dance floors”, commentée avec l’auteur, évidemment.
Dans son émission du 15 octobre, Stéphane recevait Guillaume Kosmicki pour parler d’Hakim Bey, de raves et de musiques électroniques.
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Peut-on, aujourd’hui, modifier les rapports entre individus, et soi-même avant tout, en vue de faire évoluer le monde ? Hakim Bey, initiateur des « TAZ » (« zones d’autonomie temporaires »), répond par l’affirmative et développe la notion d’« immédiatisme » dans ces Sermons radiophoniques (introd. de Guillaume Kosmicki, trad. de l’américain par Fleur Ramette, Le mot et le reste, 88 pages, 9 euros), extraits d’émissions sur une radio new-yorkaise dans les années 1990. Les moyens ? Citons, entre autres, le « tong » (référence aux tongs chinois), constitution de société secrète pour les groupes marginaux ou prônant des actes illégaux (et l’on pense au groupe de hackers d’Anonymous, par exemple), et le concept de potlatch (cérémonie de dons) appliqué à des banquets ou à des pique-niques mêlant échanges de plats et de cadeaux non manufacturés… Il s’agit encore et toujours de constituer, selon les mots du préfacier, des « zones pirates où l’anarchie est véritablement vécue dans l’instant présent, et pendant un moment donné, avant de disparaître tout aussi rapidement ».
Guillaume Kosmicki était l’invité de la matinale très punchy de Juliana. Il a présenté les Sermons radiophoniques aux auditeurs.
Pour réécouter l’émission :
Radio Canal B
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Les Sermons radiophoniques, coup de cœur de Christophe Bouseiller, animateur de la matinale de France Musique (Musique matin).
Pour réécouter l’émssion : MUSIQUE MATIN
Le nom d’Hakim Bey (Peter Lamborn Wilson) est particulièrement connu dans les milieux artistiques grâce à la grande fortune rencontrée par son concept de “T.A.Z.” (Zone d’Autonomie Temporaire) depuis maintenant deux décennies (l’édition originale de T.A.Z. date de 1991, sa traduction française de 1997). Ce succès repose en grande partie sur deux points : d’une part, le mystère auratique entretenu autour de cet auteur adepte du secret, poète et mystique qui se qualifie lui-même d’“anarchiste ontologique”, dont les références et les emprunts vont de la philosophie de Nietzsche au spiritualisme et à l’ésotérisme, qui adopte des postures de sage ou de chamane, multiplie les appels à l’insurrection et les formules aphoristiques sur la marche du monde. Appelons cela un style. Cette fortune repose encore sur des propositions concrètes (comme les “T.A.Z”) appartenant au registre des manières d’être et des arts de vivre, dans des formes alternatives aux normes dominantes des sociétés capitalistes contemporaines. Postures, discours et propositions sont bien entendus mêlés chez Hakim Bey, et ces Sermons radiophoniques—interventions effectuées il y a plus de vingt ans sur les ondes de WBAI-FM Pacific à New York, lors de l’émission M.O.R.C.—ne dérogent pas à la règle. L’arrière-plan idéologique et les vérités par trop simplistes qui soutiennent le discours ne doivent pas masquer l’intérêt de ses objets, qui participent d’une volonté de créer du collectif—éloge de l’art comme jeu, réflexions à partir du Tong chinois et autres structures d’organisation secrètes, conviviales, autonomes, a-hiérarchiques, modèle du banquet, éloge de l’amitié comme forme de vie… Objets qui permettent de comprendre combien le succès d’Hakim Bey est aussi lié à son classicisme.
Pour son numéro rentrée, dans sa nouvelle rubrique Collectors, le magazine culturel Chronic’art reproduit un extrait des Sermons radiophoniques (“Le Potlatch immédiatiste”).
Dans la deuxième partie de l’émission, le musicologue Guillaume Kosmicki revient sur les Sermons radiophoniques d’Hakim Bey, qui paraissent aux éditions Le Mot et le Reste et dont il signe l’introduction. Hakim Bey, théoricien américain, inventeur du concept de “Zones d’autonomes temporaires”, explique ici “l’immédiatisme”, ou l’art comme jeu quotidien. Guillaume Kosmicki explique en quoi la parole d’Hakim Bey entre en écho avec les free parties et la musique électronique.
L’Atelier du son
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Les éditions Le Mot et le Reste publient dans leur collection Attitudes, les textes d’un esprit libre : Hakim Bey. L’auteur du fameux traité T.A.Z (ou Z.A.T. En français pour ” Zones d’Autonomie Temporaire ”) de 1991, qui inspira toute une frange de la contre-culture des années 90 (et en particulier le mouvement techno free-party de la même époque). Et c’est avec plaisir, et il faut bien le dire, soulagement en ces temps troublés, que nous retrouvons ici ses sermons originalement composés pour l’émission de radio M.O.R.C. (The Moorish Orthodox Radio Crusade Collective) sur WBAI-FM Pacific à New York.
Ces ” sermons ” (The Radio Sermonette en V.O.) se composent de onze essais, ou manifestes, visant à exposer la pensée totalement singulière d’un des plus mystérieux personnage de la fin du 20ème siècle et du début du 21ème, Hakim Bey, pseudonyme connu de Peter Lamborn Wilson. Un penseur d’obédience anarchiste adhérant à l’idée “d’anarchisme ontologique”, qui explore depuis plus de 15 ans les zones inconnues ou – fort heureusement pour certaines – ignorées, de notre culture et de notre histoire. Exhumant souvent ainsi des trésors de possibilités cachées nous permettant de décompresser ou d’en finir, au moins “temporairement”, le temps d’une soirée, d’une fête, d’un festival, d’une performance, ou d’une émission de radio par exemple, avec la pression et l’aliénation que nous impose l’actuelle civilisation.
On trouvera parmi ces Sermons Radiophoniques, un traité de l’imédiatisme qui cherche à séparer l’art du capital et d’en finir avec l’aliénation des artistes – et des travailleurs culturels – envers l’économie. Un texte passionnant sur l’histoire des Tongs, cette confrérie “occulte” (dans le sens de secrète et invisible) née en chine (et qui rappellera à certains son fabuleux livre sur les Utopies Pirates). Sont aussi présentés, un essai intitulé Imédiatisme VS capitalisme dont le titre parle de lui-même après la lecture du premier traité, ainsi qu’“Involution”, “Imagination” ou “Vernissage”. Certains, fameux sur le net (les textes d’Hakim Bey sont anticopyrightés, ils sont donc librement piratés et diffusés dans leur langue d’origine, comme ce fut le cas pour “Un Potlatch Imédiatiste”), ont déjà fait parler beaucoup d’eux et ont été lu dans le monde entier dans leur langue originale.
C’est pourquoi il faut insister sur le fait que l’éditeur les présente ici sous une traduction inédite – et excellente – de Fleur Ramette, accompagnée de nombreuses annotations permettant au lecteur français de mieux comprendre les nombreuses références soulevés par Hakim Bey. L’ensemble est aussi complété d’une très bonne introduction synthétique de Guillaume Kosmicki, également auteur de la somme sur les Musiques Electroniques chez le même éditeur.
Les Sermons Radiophoniques paraîtront le 18 août aux éditions Le Mot et le reste.